Bob Byington balaie dans une succession de scénettes la vie d’un loser pathétique. Situations absurdes, personnages fantasques et relations humaines cruelles : Somebody Up There Likes Me lorgne tour à tour vers les séries Bored to Death (la sympathie en moins) ou Two Men and a Half (sans le graveleux des dialogues). Aphorismes et moments insolites ponctués de séquences d’animation peuvent renvoyer également au cynisme de Todd Solondz ou à Wes Anderson et à son goût du décalé.
Max ne vieillit pas. Alors que sa vie défile, depuis la fin de son premier mariage jusqu’à sa mort, il conserve son air ahuri d’adolescent attardé. Anti-héros cynique et désabusé, les étapes de sa vie se suivent de façon décousue. À l’image des premiers plans entrecoupés par les cartons du générique, dans lesquels Max passe d’un lieu à un autre à travers des faux raccords, le film propose des scénettes sautant du coq à l’âne. Voleur de fleurs funéraires, trousseur de baby-sitter, rien ne peut sauver cet indécrottable loser qui alterne coups de chance et revers de fortune avec une égale indifférence.
Dans la petite société de Bob Byington, on s’envoie à la tête toutes les horreurs que l’on pense avec une indifférence sereine. L’antipathie est la règle chez ces personnages dont les traits caricaturaux conduisent à l’accumulation de situations allant du petit décalage avec la vraisemblance (le fils de Max vieillit, à l’inverse de son père, mais garde un air juvénile en restant affublé à travers les ans d’une casquette de base-ball ; la seconde femme de Max mange des gressini dans la plupart des scènes, au point que son époux choisi d’en porter régulièrement sur sa tombe après son décès) à un léger penchant pour le fantastique (une valise qui passe de main en main diffuse une étrange lumière lorsqu’elle est entrouverte).
Les différentes situations sont vécues par le personnage avec un égal détachement surligné par la petite musique omniprésente qui surjoue l’aspect « décalé » de la cruauté traitée sur le mode de l’humour corrosif. Le montage de scénettes relativement indépendantes offre une succession de bons mots à prendre comme des sketches ponctués d’aphorismes : décalage du langage familier dans la scène où des clients du restaurant où il travaille demandent à Max de ne pas les appeler « Vous autres » (« You guys »), ou décalage avec la bienséance dans le toast déplacé que porte Sal, en qualité de témoin, au mariage de son ami.
Dans la galerie de personnages aussi pathétiques que lui avec lesquels il entretient des relations teintées d’ennui et d’opportunisme, Max rencontre un potentiel premier client à son snack Pizza and Ice. Il s’agit d’Alex Ross Perry, invité dans le film, comme Bob Byington faisait une apparition de prof de fac arrogant et insensible dans The Color Wheel. Les deux cinéastes partagent, en plus de leur chef opérateur Sean Price Williams, le goût pour les personnages antipathiques de losers, pour les situations incongrues et une vision cruelle des relations sociales. Ils choisissent tous deux une forme qui ne se fait pas oublier. Mais là où Perry a fait le choix de filmer en pellicule 16 mm noir et blanc et caméra portée, des dialogues qui s’échangent à toute vitesse entre lui-même et la comédienne de stand-up Carlen Altman, Bob Byington préfère la rareté des mots, la fixité et la symétrie du cadre, le vide des décors. Les mariages et les enterrements, ces temps forts de la vie, structurent le récit avec un absolu détachement. Au risque de faire de cette raréfaction une vacuité.