Road-movie à la langueur monotone, The Color Wheel est le second long-métrage d’Alex Ross Perry (producteur, co-auteur, réalisateur, monteur et acteur principal de ce film), après Impolex (2009), sorti uniquement aux États-Unis. L’absence de moyens peut donner lieu à une ascèse productive en termes de création, mais cette possibilité est tout sauf une règle, comme nous le prouve ce film où microproduction rime surtout avec micro-idées de réalisation.
Dès les premiers plans du film, le ton est donné. Le 16 mm noir et blanc, avec son grain épais et très visible à l’écran, nous avertit de la posture esthétique et de la démarche décalée de Perry. Mais, de cette image si particulière, presque tactile, rappelant sans cesse la matérialité argentique du film, il ne fait rien, sinon un accessoire sophistiqué dans une panoplie vintage. Personnages au style vestimentaire hors du temps, intérieurs piteux ou miteux, accessoires obsolètes (la cabine téléphonique) viennent juste compléter l’emballage arty d’un film surfait. JR (Carlen Altman, co-scénariste) demande à son frère Colin (Alex Ross Perry) de la conduire à travers l’état de New York pour récupérer ses affaires chez son ex, professeur en communication à l’université. Le frère et la sœur ne se supportent pas, mais JR accepte néanmoins ce voyage, rythmé par les confidences, les règlements de compte, les disputes, les moments de complicité. Au fil de leurs déplacements, des figures de leur passé (amants, camarades de lycée, amis oubliés) viennent raviver la prégnance d’échecs personnels chez ses deux trentenaires au comportement d’adolescents attardés. JR, aspirante présentatrice de JT, comédienne à ses heures perdues, peine à cacher qu’elle multiplie les auditions sans jamais travailler. Être en errance, désormais sans domicile, elle incarne l’absence de rêve américain dans une Amérique post-crise des subprimes, où la voiture n’est plus seulement un mode de transport mais aussi un lieu de vie. Face à elle, son frère au physique ingrat se ment à lui-même en prônant la satisfaction d’un emploi alimentaire et d’une vie de couple simple (dès la première scène, sa copine refuse contact intime malgré son insistance).
Dans un road trip mélancolique, la relation de JR et Colin, pleine de tension et d’attraction, est filmée sous le signe d’une prétendue provocation qui ne surprend personne. Les champs-contrechamps interminables de leurs conversations heurtées alternent avec des plans-séquences sans fin, jusqu’à cette dernière nuit du voyage où la longueur d’un plan rapproché sur le visage de JR et Colin cherche à revêtir une fonction cathartique tout en ramenant le spectateur à l’ambiguïté de son voyeurisme. Cette avant-dernière séquence nous enfonce dans l’ennui où la logorrhée verbale des personnages avait fini par nous plonger. En outre, The Color Wheel brasse un nombre certain de références cinématographiques de façon ostentatoire. On retrouve chez Perry les préoccupations existentielles et le flot verbal d’un Woody Allen (Manhattan, 1979), la filiation esthétique d’un Jim Jarmusch, l’inspiration thématique d’un Terrence Malick (La Balade sauvage, 1975)… Œuvre de cinéphile, The Color Wheel en est-elle pour autant une œuvre de cinéma ? Le film semble imprégné de références auteuristes pour mieux prouver sa légitimité, sans avoir pris le temps d’exister par et pour lui-même. Et, sous couvert d’une originalité de façade, The Color Wheel s’avère en fait d’une grande banalité.
Le film s’éclaire parfois grâce à son ironie mordante. Ainsi, la scène dans un hôtel chrétien, où JR et Colin se font passer pour un couple, travaille un sarcasme et un sens caustique croustillants. Avec sa construction éclatée, la scène de fête chez une ancienne cheerleader, où les saynètes se multiplient au gré de la circulation de JR et Colin dans les pièces de l’appartement bourgeois, prouve la capacité de Perry à gérer avec intelligence le rythme d’une séquence longue, en travaillant la mise en scène des archétypes du teen movie dans des corps adultes. Mais ces beaux moments demeurent fugaces. Pourtant, maigreur du budget et temps de tournage limité n’empêchent pas de penser un découpage et une mise en scène, Donoma (Djinn Carrénard) nous l’a bien prouvé. Ici, le jeu sur une mise au point aléatoire et sur le flottement du cadre vient trop souvent souligner la réalité d’un cinéma réalisé dans la précipitation. Alex Ross Perry confond flou artistique et flou tout court, saturant l’image de signes pour prouver son potentiel de cinéaste « plus indé qu’indé », avec un tel acharnement que l’agacement succède souvent à l’ennui.