Sommeil blanc accueille déjà en son titre l’atmosphère hypnotique et froide qui teinte le film. Isolés dans les hauts-plateaux Camille (Hélène de Fougerolles), peintre un peu farouche, et son compagnon (Laurent Lucas) décident de déménager en direction de Chambéry, ville qu’ils avaient quittée pour un exil dans ces forêts enneigées. Lui part une semaine avant le grand départ pour raisons professionnelles. Cette semaine sera l’occasion pour Camille de finir les préparatifs. Seulement, elle va rencontrer un jeune garçon dans la forêt, et tout ne se passera pas comme prévu. Non, ce n’est pas un film d’horreur.
Découvrir le premier film d’un cinéaste est toujours un ravissement : quel que soit le résultat, il est a priori excitant et réjouissant de partir en quête. Jean-Paul Guyon lutte d’ailleurs du début à la fin pour donner à son œuvre une ambiance singulière. Pourtant dépourvu d’aura, le film ne parvient jamais à se hisser aussi haut qu’il laisse espérer : quelques plans immédiatement identifiables comme des plans-clés (faisant avancer l’action et/ou épaississant la psychologie du personnage principal) sont autant de déceptions en ce qu’ils n’appellent aucune suite valable. Ainsi, l’intrigue se résout au compte-gouttes avec une certaine minutie mais surtout dans une évidence et une morne platitude. Tout tend au mystère : pourquoi agissent-ils ainsi ? Qui sont-ils ? Que s’est-il passé ? Autant de questions, et dans une équation parfaitement résolue, autant de réponses. Rien n’est conservé en état d’indécidabilité, tout est fait et bouclé en bonne et due forme. Malgré cette attention très marquée portée sur l’angoisse planante qui rôde au-dessus des personnages et les rebondissements scénaristiques, ce n’est effectivement pas l’intention première du cinéaste : ce dernier peint avant tout un portrait. Celui de Camille. Jeune peintre qui s’agenouille dans sa propre solitude, elle se livre à des comportements visiblement étranges, s’enferme fréquemment à double tours dans sa chambre, est en proie à quelques cauchemars récurrents et montre une certaine instabilité émotionnelle. Et surtout, elle reste visiblement décidée à ne pas quitter son chalet. À l’inverse des bienséances auxquelles elle se soumet (obligations familiales, bienveillance) qui la poussent à préparer le déménagement, quelque chose la rattache ici. Le mystère est vite résolu. Il y a une courte scène de révélations qui sonne amèrement comme un constat d’échec pour le film dans son ensemble : larmes aux yeux, elle révèlera à un presqu’inconnu pourquoi elle désire rester. Ni l’étonnement ni l’émotion ne pourront sauver cette scène superflue et considérablement à l’image de l’ensemble de métrage : toujours en retard par rapport au spectateur.
Hélène de Fougerolles, malgré un investissement total, enchaîne postures maladroites et regards mollement torturés, s’observant constamment devant son miroir avec incompréhension : il faut qu’une dépressive ait l’impression de ne plus se reconnaître, elle s’interroge sur ce qui lui arrive, donc elle se reluque, désemparée… Dans Non ma fille, tu n’iras pas danser, Christophe Honoré (et sa coscénariste Geneviève Brisac) avaient – à l’écriture donc – déjà un personnage très fort, complexe, riche. Léna (Chiara Mastroianni) trouvait son instabilité dans ses rapports avec les autres (petit ami, sœur, mari, enfants…) et pétri par les inconstances elle s’adonnait à un jeu quasi permanent proche de la folie. Une folie beaucoup plus impressionnante que celle de Camille (de Fougerolles) car luttant toujours contre quelqu’un et contre elle-même. Léna est un personnage qui combat la fiction, qui loin de sauter les obstacles, les défonce comme elle peut. Chez Guyon, il n’y aucune lutte. Camille se jette corps et âme dans sa propre fiction. C’est un personnage siégeant sous les codes de la névrosée-type. Il suffit de la mettre en face du personnage de Carole (Laura Smet) de La Frontière de l’aube (Philippe Garrel) pour prendre conscience de sa superficialité – la naïve perception de la dépression, du mal-être en général, est assez détestable.
L’écueil le plus rédhibitoire se loge dans un découpage inconcevable. Impossible, notamment, de voir dans l’emploi des fondus au noir autre chose qu’une incapacité à raccorder les séquences : ils sont des creux asséchant tout rythme. La lenteur n’est pas un problème en soi et même bienvenue pour un film qui proposerait apriori une suite de rebondissements visant à dynamiser le récit, mais elle est pesante car inexpressive, elle mène à une mollesse générale et empêche toute ampleur. L’incapacité du film à trouver son rythme et sa singularité, tient aussi du jeune garçon joué par Julien Frison, personnage central poursuivi par Camille. Chaque attitude, chaque réplique sonne faux. Le jeune acteur plie et rompt sous la direction d’acteur. Pas crédible une seule seconde il tourne à vide avec son personnage qui est fatalement, complètement désincarnée – une coquille vidée de toutes substance, il est un automate irritant.
La recherche esthétique qui convainc à peu près se trouve dans cette volonté tenace du réalisateur à baigner son film dans toutes les gammes de bleus possibles. Tranchent alors les derniers plans (verdoyants et ocres) qui marquent l’évolution du personnage principal. Dans une utilisation relativement primaire cet élément, l’eau est un thème qui occupe et travaille le film : le film s’ouvre sur des fonds marins, Camille casse des glaçons, se lève en pleine nuit boire une bouteille d’eau jusqu’à plus soif, le lac comme source d’intrigues… Plus encore, le froid cause les maux : le chien dans la neige, les engelures, les voitures enlisées, la tempête, les chemins obstrués… L’immersion du feu, du réchauffement, de la verdure, se fait peu à peu tout au long du film. Jusque dans la musique de David Moreau on trouve des traces d’eau – ambiance aquatique, bizarreries sonores évoquant les mystères insondables des océans. Beaucoup, beaucoup trop présente, elle apparaît systématiquement, dès que Camille s’interroge. Visant clairement et trop sûrement à amener un éventuel basculement vers le film fantastique, le film d’horreur parfois, elle est une variation des célèbres violons et pianos pour flécher grossièrement les sentiments. Là, c’est la même facilité mais pour situer un danger, une interrogation. Finalement, Sommeil blanc relève du téléfilm déguisé, trop sage, trop pauvre, et souffre nettement de ses esbroufes de mise en scène. Réjouissant de découvrir un premier film, disais-je ?