L’un des marronniers les plus fréquents du journalisme sportif est le concept, quelque peu équilibriste, de « défaite encourageante ». Par analogie, La Surface de réparation, le premier long-métrage de Christophe Régin, pourrait se résumer à cette formule. Manqué, le film l’est à bien des égards : en se cramponnant coûte que coûte à une structure narrative rebattue et fade – le parcours rédempteur d’un personnage déchu : ici celui de Franck, ex-pépite du centre de formation d’un club de football, devenu homme de l’ombre après qu’une blessure lui ait barré la route d’une carrière professionnelle – il s’enferme dans une dialectique presque caricaturale du « film de sport » qui, d’une main, relativise succès et échec et, de l’autre, surligne la revanche individuelle. Cette obligation de « faire récit » a pour conséquence de cantonner La Surface de réparation à un téléfilm de luxe, gonflé pour le grand écran, où les figures imposées de production (casting télévisuel, rebondissements pondérés, lissage numérique) nécessitent une infrastructure réaliste particulièrement simplifiée, voire schématique.
Ainsi, et même si le réalisateur affirme se garder d’une approche trop naturaliste, la description du club de foot comme creuset social d’une ville ne convainc pas : Régin imagine rejouer le modèle de Trincamp, le club familial et rural dans Coup de tête, avec ses lots de dirigeants-notables et de vieux supporters avinés, accoudés au comptoir d’un bar PMU. Or, si cette image d’Épinal du « club de province » grossissait déjà le trait dans le film de Jean-Jacques Annaud, elle n’a pas lieu d’être dans La Surface de réparation qui installe son histoire à Nantes, huitième plus grande ville de France et qui abrite un club professionnel parmi les dix plus importants budgets du championnat, soutenus par des structures économiques et humaines dynamiques. Loin d’être tatillon, ce constat atteint directement la crédibilité du projet cinématographique, réduisant la structure sportive à une série d’oppositions sociologiques démagogiques : les jeunes joueurs issus des banlieues contre les dirigeants et supporters franchouillards, les coulisses tantôt clinquantes (boîtes de nuit bling-bling, règne de l’argent), tantôt puantes (scandales adultérins vendus à la presse, filles faciles) contre l’hyper-modestie de la partie visible de l’iceberg (petits paris entre amis, matchs amateurs du dimanche matin…).
Tchao Pantin
C’est d’autant plus dommageable que l’immersion proposée par Régin par-delà le miroir médiatique sent le travail de préparation et de documentation en amont. Les scènes se succèdent comme autant d’anecdotes vécues, des jeunes de l’école de foot qui font le mur pour sortir la nuit à la journaliste de la presse quotidienne régionale qui négocie au meilleur prix les potins des joueurs stars. Mais ainsi écrites et mises en scène, elles ne ressemblent qu’à de petites chroniques mondaines alignées bout à bout et reliées par le fil narratif qui les traverse. Cet assemblage racoleur ne produit pas le début d’une réflexion plus structurelle sur les enjeux intimes et politiques qui pourtant bouillonnent : sur l’entrelacement douloureux entre succès et transclassisme, le film de Teddy Lussi-Modeste, Le Prix du succès, sorti l’été dernier (où le milieu du stand-up rejoint, sur ces questions, celui du foot), amorçait – même très sommairement – le dilemme du personnage « beurgeois » dont la réussite devenait une violence symbolique adressée à ses anciens camarades du même quartier paupérisé. Rien de comparable dans La Surface de réparation qui se love dans un apolitisme confortable.
Il ne s’agirait pas non plus de faire un procès entièrement à charge : le film révèle des qualités prometteuses, sans doute plus à même de s’épanouir dans une esthétique moins calibrée. Loin de chercher à surfer en permanence sur l’efficacité du scénario, Régin ose parfois quelques plans plus longs et contemplatifs, laissant aux acteurs la chance d’occuper l’espace, de jouer des répliques plus spontanées, presque improvisées sans avoir peur du silence. La tonalité générale s’en retrouve étouffée et délicate, à mille lieues du style tapageur attendu dans ce genre de cinéma croustillant. Au contraire, cette mélancolie diaphane qui enrobe La Surface de réparation laisse transparaître l’interprétation très intéressante de Franck Gastambide dans le rôle principal. Le clown puéril que l’on connaît à la télévision ou dans les comédies qu’il a lui-même réalisées (Les Kaïra, Pattaya et bientôt Taxi 5) cède la place à un homme solitaire et mutique, dont la posture recourbée et engoncée dans son blouson en cuir traduit la déférence et le malaise de sa situation, clé de voûte de la vie quotidienne d’un club qui lui refuse constamment une reconnaissance officielle, qu’elle soit sur le terrain ou dans sa sphère dirigeante. Parvenir à charger d’une émotion sincère un film si aseptisé suffit pour reconnaître une performance encourageante.