Depuis le triomphe critique et commercial de Your name., Makoto Shinkai continue d’approfondir, film après film, la veine d’un « réalisme magique » conjurant la hantise des cataclysmes qui s’abattent sur le Japon. Le film met à distance la hantise de la destruction en adoptant la forme de road movie qui juxtapose des tonalités volontairement disparates, entre love story adolescente, versant comique et goût du spectaculaire. Dans sa première partie, Suzume se fait ainsi la chronique d’un amour naissant entre l’héroïne éponyme et le ténébreux Sōta, tout juste arrivé dans son village et à la recherche d’une mystérieuse « porte ». L’adolescente découvre vite à ses côtés qu’elle est une « Verrouilleuse », chargée de fermer les passages par lesquels s’échappe un monstre souterrain, le « Ver géant », responsable des tremblements de terre qui secouent l’archipel. Après que Suzume a libéré accidentellement Daijin, un dieu facétieux qui change Sōta en chaise à trois pieds, les deux personnages parcourent le Japon à la recherche de la divinité qui fait à la fois office de lapin blanc et de Chat du Cheshire.
Lorsqu’elle découvre pour la première fois le portail carrollien permettant au Ver d’envahir le Japon, Suzume ne parvient pas à passer de l’autre côté du miroir : la jeune fille court seulement au travers d’une écran projetant, à la manière d’un hologramme, un monde à la fois mystérieux et attirant. Emblématique de ce que l’univers de Shinkai peut avoir de superficiel (la mise en scène s’efface souvent chez lui derrière la joliesse), la séquence met aussi au jour son obsession pour l’imaginaire de la dévastation, qui sert de métaphore aux bouleversements intimes de ses héros. Le problème du film tient à ce qu’il ne choisit jamais entre l’apocalypse et les images d’Épinal : le sentimentalisme outré des scènes lacrymales qui suivent la disparition de Sōta alterne avec une gentillesse qui tombe parfois dans la niaiserie. Le film adopte d’ailleurs une structure bicéphale déjà présente dans les précédents films de Shinkai, partagée entre une première partie davantage légère et une seconde lorgnant plus ouvertement vers le mélodrame, pour un résultat nettement moins convaincant. Tandis que Suzume se transforme en chantre de l’amour fou, le film s’affadit et s’éloigne de son projet initial : documenter la patiente éclosion des sentiments entre deux êtres séparés par le destin.