Les Enfants du temps, deuxième film de Makoto Shinkai à bénéficier d’une sortie française, jouit du succès surprise de son prédécesseur Your Name., dont il reprend la trame centrée autour d’un amour adolescent sur fond de fable climatique. Au chatoiement estival du premier succède pourtant la grisaille du second, qui prend place dans un Tokyo en proie à une mystérieuse pluie sans fin. La portée symbolique de cette anomalie se trouve d’emblée soulignée par l’ouverture du film. À la faveur d’un rapide travelling arrière, la caméra passe d’un plan large sur le paysage pluvieux de la mégalopole à une vitre sur laquelle se reflète le visage endeuillé d’une jeune fille, au chevet de sa mère mourante. Son attention se porte alors sur un petit sanctuaire au sommet d’un immeuble, seul point d’éclaircie – un rayon lumineux relie littéralement le lieu sacré et le ciel – au cœur du morne panorama dominé par des teintes grises. Lors de son arrivée au sanctuaire, la jeune Hina se voit aspirée par les cieux et côtoie un bref instant des êtres vivants constitués d’eau et un dragon en forme de nuages, comme si le cumulonimbus surplombant Tokyo contenait tout un écosystème. Sur ce point précis, le film fait preuve d’un certain raffinement quant à l’animation de la matière aquatique, au point d’emprunter à Ponyo sur la falaise cette idée de séparer chaque gouttelette d’eau pour s’attarder sur leurs mouvements respectifs. Reste que l’eau, si elle occupe une majeure partie du récit, intéresse moins Shinkai pour ses propriétés plastiques que pour sa dimension platement symbolique. Voilà qu’Hina, revenue sur la terre ferme, commande à sa guise le retour ponctuel du soleil, chassant dans le même temps les nuages et la grisaille de la ville. Le geste magique illustre dès lors une façon pour la jeune fille de faire son deuil.
Réalisme magique
Par la percée du fantastique dans un cadre géographique bien défini, Les Enfants du temps s’inscrit dans le genre identifié du réalisme magique, d’autant plus qu’il s’attache à dépeindre un contexte social précis, particulièrement accablant pour ses personnages (de jeunes adolescents précaires). Hodaka, le personnage principal du film, fugue ainsi de son île natale puis se rend à Tokyo et, livré à lui-même, peine à subvenir à ses besoins. Seule une embauche pour un petit journal spécialisé dans le paranormal tire le lycéen de la misère à laquelle il était destiné. De façon analogue, Hina, devenue orpheline, se voit contrainte d’élever son petit frère et de mentir sur son âge (elle affirme avoir 18 ans alors qu’elle n’en a que 15) pour éviter d’attirer l’attention des services sociaux. Elle se laisse même convaincre par un homme vénal de travailler dans le monde de la nuit après avoir perdu son emploi chez McDonald’s. La violence sociale que subissent les personnages se mêle de surcroît à une caractérisation stéréotypée : Hodaka incarne la figure de l’adolescent mélancolique et renfermé tandis qu’Hina personnifie la jeune fille aux pouvoirs mystérieux. La faculté de Hina à dissiper les nuages constitue en cela l’unique moyen pour les deux héros de s’enrichir, en apportant littéralement du soleil dans la vie des Tokyoïtes. Ce versant fantastique, malgré son importance, s’avère d’ailleurs un brin limité étant donné qu’il se cantonne à la reproduction d’une action : Hodaka et Hina sont mandatés à travers la ville pour divers événements (rites funéraires, feux d’artifice, etc.) afin de chasser mécaniquement la tristesse du visage des habitants. Cette répétition est en outre soulignée par la structure sérielle du film : en témoignent ces petits montages qui font autant office de micros génériques au sein du long-métrage qu’ils ne marquent un passage à une nouvelle partie du récit.
Écologie du mythe, mythe de l’écologie
Avec ses dérèglements climatiques, Les Enfants du temps convoque également tout un imaginaire post-Fukushima, notamment dans sa dernière partie où Tokyo se retrouve plongée sous les eaux. Les velléités écologiques de Shinkai se mêlent cependant à un terreau mythologique soutenant une thèse opposée : la montée des eaux serait davantage un phénomène cyclique qu’une conséquence de l’activité humaine (c’est du moins ce que nous révèle l’épilogue du film). Hina, cette « fille-soleil » promise au sacrifice afin de rétablir un équilibre météorologique séculaire, n’est donc pas seulement une entité merveilleuse qui redonne le sourire aux Japonais : elle omet dans le même geste toute responsabilité humaine dans le désastre écologique. Un personnage se voit d’ailleurs systématiquement contredit dès lors qu’il évoque le réchauffement climatique comme cause possible des intempéries. On peut plutôt y voir, comme dans Your Name., la convocation d’une imagerie de la catastrophe en guise de simple illustration d’une histoire d’amour impossible.