Your Name. (avec le point final) est le quatrième long-métrage du réalisateur d’animation japonais Makoto Shinkai, mais son premier film à sortir en salles en France, les autres ne nous étant parvenus qu’en DVD. Shinkai n’est pas pour autant un inconnu, loin de là : le soutien d’une solide base d’aficionados et de la critique spécialisée (où certains le qualifient de « nouveau Miyazaki ») lui assurent une réputation qui le précède. Surtout, Your Name. vient de battre des records au box-office japonais, allant jusqu’à chatouiller les mollets des plus grands succès du géant Ghibli, ce qui justifie sans nul doute la motivation supplémentaire pour rendre le film visible en Occident. Et c’est mérité, pour cette comédie romantique et fantastique (osons même dire : romantique au sens premier du terme, où la raison des personnages et du conteur cède aux sentiments) qui investit toute sa vigueur dans une ode au désir de l’autre comme un désir de faire un.
Deux en un…
Voilà un jeune garçon de Tokyo et une jeune fille de la campagne. Ils ne se connaissent pas, mais de temps en temps, la conscience de l’un va occuper le corps de l’autre et vice-versa, sans qu’ils l’aient demandé ni qu’ils s’en souviennent une fois chacun rentré chez soi. Seuls les témoignages de leurs entourages respectifs attestent de leurs comportements inhabituels qui s’apparentent à des accès de somnambulisme. Passé la surprise de la découverte de ce phénomène (le film commence là, sans introduction préalable ni explication), ils le mettent à profit pour communiquer entre eux, se connaître et ainsi entamer leur relation hors norme. S’ils ne se jettent pas illico dans les bras l’un de l’autre, Shinkai, lui, considère qu’ils sont déjà ensemble de facto, et le célèbre même avec entrain. Sous les apparences de la chronique adolescente grand public (avec voix à éclats et musique « J-pop » à fond les ballons), il met toutes ses ressources formelles (montage alterné, usage du split-screen, motif des lignes parallèles) au service d’une audacieuse apologie de l’interchangeabilité, et dès lors de la fusion : des genres sexuels, des milieux sociaux, des croyances, des visions du Japon d’aujourd’hui, autant de barrières potentielles que cet amour encore en devenir s’attache déjà à contourner l’air de rien, dans l’élan d’embrassement sans retenue que lui imprime la mise en scène.
… et vice-versa
Le film pose cette fusion comme une telle évidence que la seule contrariété capable de la remettre en question advient avec une force dramatique imparable. Difficile d’évoquer cet ultime obstacle, un coup de théâtre surgissant dans l’apparente communion des choses séparées, sans en dévoiler trop ; nous nous contenterons de le décrire comme la barrière qui sépare l’avant de l’après, et qu’il a un rapport avec un de ces cataclysmes auxquels le fragile Japon doit survivre de temps à autre. On réalise à ce moment avec quelle conviction Your Name. est parvenu à matérialiser l’union de deux êtres, au point que dès lors la rupture forcée se joue au sens propre : les deux êtres étant parvenus à ne faire qu’un, le manque de l’un revient à voir l’autre en quête d’une partie de soi-même. Quête autorisée par un recours que seul le récit fantastique et la croyance pouvaient offrir, mais d’autant plus déchirante que le temps est compté et que s’y jouent (grâce à ce même moyen fantastique) deux sentiments bien réels et lucides : non seulement la douleur de la vie sans l’autre (cette part de soi), mais surtout la peur de devoir – de pouvoir vivre sans l’autre. Il s’agit autant du refus de vivre sans l’autre que de vivre sans l’amour trouvé. Si le romantisme de Makoto Shinkai est si prégnant (loin des romances fantastiques formatées de type Twilight), c’est bien parce qu’il parle de l’amour sans raison tout en sachant toucher à quel point, intimement, celui-ci défie la raison.