Swagger vient d’une citation de Songe d’une nuit d’été de Shakespeare : « Quels sont ces rustiques personnages qui font ici les fanfarons (What hempen homespuns have we swaggering here), si près du lit de la reine des fées? » Ces gentils fanfarons tout droit sortis d’un univers de conte, ce sont les enfants du collège Claude Debussy d’Aulnay-sous-Bois filmés par Olivier Babinet durant trois ans, d’abord dans le cadre d’un atelier puis celui d’une résidence. Il s’agit ici de prendre le contrepied de tous les clichés sur les jeunes des quartiers dits « sensibles » pour en révéler toute la douceur et la gaieté. Loin d’être une zone de guerre et de non-droit comme dans le désastreux Dheepan, les tours aux 3000 logements sociaux d’Aulnay apparaissent dès le générique comme un univers enchanté, survolées en hélicoptère sous le ciel radieux d’une nuit étoilée, tandis que la première image du collège sera celle de petits lapins qui gambadent à ses abords.
Fictions et enchantements
Depuis cette introduction aux extérieurs rassurants, la caméra se rapproche des collégiens, enchaîne les interviews intimistes avec onze adolescents. Tout le geste du documentaire est là : substituer à une vue générale et lointaine de la banlieue un point de vue intérieur. Les quelques plans généraux sur les tours, les dealers et guetteurs zonant dans les parages seront toujours de courte durée, contrebalancés immédiatement par un travelling avant qui entre dans les bâtiments. Swagger déroule alors un patchwork de récits autobiographiques, de vantardises et de rêveries émouvants et drôles. Régis, nœud papillon et cheveux gominés, explique avec fierté son goût pour le « style », Paul, un adolescent timide et sérieux, raconte qu’il est apprécié des filles depuis qu’il porte un costume, Aaron s’imagine bien président, Salimata aimerait larguer des bombes en Allemagne « parce qu’elle est trop nulle en allemand », Naïla se méfie de Mickey et des poupées Barbie, car ils sont « méchants » et cherchent à dominer le monde. Leur discours se pare ainsi aisément des couleurs de la fiction et du mythe, pour le plaisir de fanfaronner. Olivier Babinet met parfois en scène ces moments d’imaginaire avec une fantaisie réjouissante – des escadrons de drones futuristes envahissent les tours des 3000 ; Régis entre dans le collège au ralenti, acclamé comme une star de la mode ; Paul danse en plan-séquence dans toute la cité, au rythme d’un vieux rock, muni d’un beau parapluie rouge en hommage à Jacques Demy. Par ces quelques gouttes de pure fiction versées dans le genre documentaire, le film devient un exutoire bouleversant capable de rendre le sourire à Paul, un filtre magique capable de réenchanter le réel.
Rendre la parole
Malgré toute cette joyeuse féerie, Swagger exprime avec délicatesse la souffrance de cette jeunesse trop marginalisée. Le générique est accompagné en voix off par les remarques naïves de Naïla : « où sont passés les Blancs dans son quartier ? Ils sont partis dans les Yvelines ou dans le 92 ». Une autre jeune fille affirmera n’en avoir croisé « qu’un seul » dans sa vie. Avec leurs mots doux et innocents, ces enfants rappellent l’échec de la mixité sociale dans de nombreux quartiers. Les onze Swagger ont beau être des fanfarons, leur langage est un voile pudique et digne sur leurs difficultés bien réelles – Paul raconte avec calme qu’il fait toutes les démarches administratives de ses parents comprenant mal le français, le jeune Nazario, tout sourire, explique qu’il vit en famille d’accueil avec son petit frère. En entrecroisant par le montage les interviews qui semblent se répondre en champ contrechamp, Olivier Babinet tisse ainsi une seule voix collective, la voix d’une jeunesse courageuse, pleine de rêves d’enfant mais aussi questionnements et d’incertitudes. Certains collégiens emploient malgré eux le terme « Français » à la place de « Blancs », comme s’ils avaient intégré eux-mêmes la discrimination dont ils sont les victimes. À l’inverse, une jeune fille s’étonne du terme « Français de souche » : « je sais pas ce que c’est, moi, souche ». Une collégienne éprouve une peur bleue à l’idée d’aller au bled, une autre aime bien s’y rendre, car on s’y parle plus facilement. Ainsi Olivier Babinet rend la parole à une jeunesse trop exclue dans le silence, témoin humble et sincère de nos contradictions politiques.