Retour sur le premier film audacieux des deux réalisateurs Olivier Babinet et Fred Kihn. Robert Mitchum est mort a été montré dans de nombreux festivals et montre ce qui se fait de neuf et de novateur aujourd’hui en France. Les réalisateurs racontent la genèse du projet, des difficultés de production au tournage.
Qu’est-ce qu’on éprouve avant la sortie d’un film qu’on a mis cinq ans à voir se concrétiser ?
Olivier : Après cinq ans d’acharnement à me battre pour que ce film existe, passé le stress des derniers préparatifs, j’ai l’impression que tout se goupille assez bien. De toute façon, j’aurais fait tout ce que j’ai pu avec mes petits bras, et mon producteur aussi… il a passé son week-end à coller des cartes postales du film dans Paris. Depuis quelques jours, je suis très serein, et heureux de voir que le film est là.
Fred : Cinq ans ou deux, c’est pareil pour moi, c’est un épisode de ma vie. J’ai fait un tas d’autres choses durant ces cinq années. Depuis un an, nous présentons le film dans pas mal de festivals et d’avant premières et la manière dont il est perçue par la majorité des spectateurs m’a rasséréné. Je connais ses faiblesses mais j’ai pu constater que ce que nous voulions dire, montrer, est passé.
Comment avez-vous composé votre casting hétéroclite, entre Olivier Gourmet, connu pour avoir tourné avec les frères Dardenne, Bakary Sangaré de la Comédie Française, et Pablo Nicomédès, encore inconnu du grand écran ?
Fred : Dans les premières versions du scénario il y avait deux personnages principaux. Un dur qui embarque un mou. On ne voulait pas d’un tandem à la con comme on en voit sans arrêt et qui nous excite autant qu’une moule échouée sur un pneu. Et encore une moule sur un pneu, faut voir… Donc, un dur, capable d’être touchant le moment venu et on a rapidement pensé à Olivier Gourmet qui est un acteur capable d’incarner un personnage qui tient un flingue dans une main et qui materne un gosse de l’autre. Le tout dans un costume de vieux rocker.
Olivier : J’avais vu Olivier Gourmet dans La Promesse des frères Dardenne. Ça me plaisait qu’il puisse être violent, menaçant, et en même temps humain. Après, j’ai eu un déclic en le voyant dans Le Mystère de la chambre jaune, où il est très burlesque, je me suis dit que ce type donnerait toutes ses facettes au personnage d’Arsène. Contrairement à certains comédiens français qui trimballent leur « numéro » de film en film, Olivier, avec humilité, construit son personnage pour chaque projet. Et permet ainsi au spectateur d’entrer dans un monde qui n’est pas celui d’Olivier Gourmet, mais celui du film. Comme un acteur américain.
Fred : Le gosse un peu largué dans la vie, c’est Pablo et là, ça a été plus difficile à choisir. Il fallait qu’il soit déprimé pendant un moment mais qu’il ne nous déprime pas, qu’il puisse nous faire rire tendrement avec sa maladresse et que finalement, il se redresse et que l’on s’y attache.
Olivier : Au départ, les gens étaient un peu réticents, mais quand on l’a vu jouer avec Gourmet, ça marchait, il y avait une authenticité qui se dégageait que j’aimais bien et que je voulais filmer.
Fred : À ce binôme, il manquait « le sage » (le film parle d’une quête et flirte avec la mythologie) celui qui, juste par son attitude va ouvrir « des possibles » qui nous dit que dans la vie faut pas trop s’en faire, qu’il y a toujours une solution. Qui a choisi des coffres de voiture plutôt qu’une amphore pour vivre, pas besoin de plus. On avait envie de couleur donc on a cherché. Du jaune, du rouge et on est tombé sur un noir. Un vagabond sans papiers qui est tombé de la lune.
Olivier : J’avais vu Bakary dans des films il y a 5 ans, et un jour j’ai lu un portrait de lui dans un journal, chez le dentiste, qui racontait qu’il avait vécu en France sans papiers pendant 10 ans alors qu’il jouait avec Peter Brook. Il a grandi au Mali, dans un village, dans la brousse, son grand-père était guérisseur. Il y avait un vrai écho avec le personnage de Douglas. On l’a rencontré et immédiatement, c’était lui.
Olivier, comment avez-vous rencontré Pablo pour ton premier court-métrage ?
Je ne trouvais personne au départ. À la sortie d’une soirée au Point Ephémère, un van violet est arrivé et deux types déguisés en cuisinier, un avec une barbe, l’autre avec un masque de Chirac mutant, sont sortis. Un petit garçon, Oscarito chantait une chanson contre l’école, genre « j’fume du shit, les profs sont tous des cons », alors qu’on était un soir tard, en semaine. Et puis Pablo est arrivé avec un grand manteau rouge. Il filmait la scène qui était projetée sur un écran géant. J’ai ensuite regardé leurs premiers courts métrages, avec des vaisseaux spatiaux faits avec des bouts de bois, qui me faisaient beaucoup penser aux choses que j’avais tourné à l’âge de 16 – 17 ans. Après ça, je tombe sur une vidéo de lui dans laquelle il dit que sa copine l’a quitté et qu’il cherche quelqu’un… Je me suis rendu compte qu’il pouvait être touchant. Je pensais lui donner le deuxième rôle, mais il a voulu essayer le premier rôle. Il était excellent dans les deux… De fil en aiguille, Étienne c’était lui, le premier rôle.
Fred, avez-tout de suite été d’accord avec le choix d’Olivier pour donner le rôle de Franky à Pablo ?
Pour Pablo, c’est complexe. J’ai en partie répondu à la question précédente en ce qui concerne le personnage à incarner mais pour le choisir lui, je bloquais, en fait je n’arrivais pas à me décider entre un comédien au physique complètement banal pour trancher avec les autres ou très singulier. Ensuite, on a fait des tas d’essais avec des tas d’acteurs et Pablo était un des deux ou trois meilleurs pour le rôle. À ce stade, je me posais toujours des questions sur sa dégaine, je n’arrivais pas à cerner s’il était vraiment intéressant ou juste branchouille. Finalement, Je me suis laissé convaincre par sa tendresse et son jeu tout en nuance sans penser à autre chose qu’au personnage qu’on allait en faire. Finalement, Je me suis laissé convaincre par sa tendresse et vraiment sans regret. Depuis, j’ai fait une demande d’adoption, mais j’attends la réponse.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez voulu réaliser ce long métrage à deux ?
Fred : Nous avions travaillé ensemble pendant deux saisons sur le « bidule » une série de courts sous forme de roman photo et diffusée sur Canal+. Olivier était un des auteurs-réalisateurs, je faisais la photo et nous nous étions très bien entendu.
Olivier : J’aimais bien l’approche simple et directe de la photographie de Fred. Il savait s’adapter aux décors, et, après le Bidule, j’avais envie de faire un film avec lui. Je me disais que ça pourrait être le Raoul Coutard de l’An 2000. J’avais vu un portrait de Kaurismäki qu’il avait fait dans Libération que j’aimais beaucoup. On se croise dans une soirée, et il me dit qu’il avait entendu parler du Midnight Sun Film festival, qu’il aimerait bien partir avec une caméra faire un journal filmé sur le festival, et faire un portrait filmé de Kaurismäki. Je lui ai alors proposé de faire un documentaire fiction sur un producteur et un acteur qui partirait au Cercle Polaire. L’idée était de tourner rapidement.
Fred : Deux jours après nous étions embarqués dans ce projet sans trop savoir pourquoi en fait. J’avais la sensation que nos deux personnalités, nos singularités respectives pouvaient se compléter et accoucher de quelque chose de bien. Il y avait une forte émulation. Un avait le sel et l’autre le poivre. Ce film semble n’être pas du tout « français », fortement influencé par la culture américaine.
Avez-vous tout de même des références ou des influences dans le cinéma ou la culture françaises ?
Fred : C’est un film européen avec un chapeau de cow-boy. La culture, pour peu que l’on soit curieux, n’a pas de frontière, elle circule, s’échange mais c’est vrai qu’il y a eu une grosse influence américaine dans mon enfance. Je préférais regarder Rintintin à « le temps des vignes » même si je trouvais que c’était vraiment horrible d’exterminer tous ces indiens. En fait, c’est davantage dans la musique peut-être que l’influence anglo-saxonne est plus prégnante. Dans la musique de ces 50 dernières années rock, blues, jazz, pop… C’est une des premières choses que l’on s’est dit en écrivant. L’imagerie américaine est jubilatoire, beaucoup moins étriquée mais c’est aussi une question d’époque. Godard et Melville s’étaient approprié certains codes américains dans les années 50, 60. Nous, nous sommes restés sur un fil et on montre qu’à vouloir être plus américain que les américains on tombe dans le ridicule.
Olivier : La structure policière est la même que celle d’À bout de souffle. Par exemple, quand Arsène voit qu’il y a un vendeur de poisson fumé en train de lire le journal qui contient l’avis de recherche de Franky. Il demande à baisser la capote de la voiture, comme Michel Poiccard, quand il découvre qu’il est recherché dans tout Paris. Une des mes références, c’est Melville également, qui américanise beaucoup ses films. J’ai retenu une de ses leçons, les stores c’est beaucoup mieux que les rideaux. Il y a aussi forcément des liens avec Michel Gondry, qui a travaillé avec Étienne Charry, le chanteur de Oui Oui, et compositeur de la musique du film avec qui je travaille depuis le Bidule. Je m’en sens proche : il a une carrière assez hybride, car il a également fait de la publicité et des clips.
Vous avez travaillé avec le même chef-opérateur que Kaurismäki, Timo Salminen, en quel sens a‑t-il influencé vos images ? Pourquoi ce choix ?
Fred : Nous avons défini le type d’images que nous voulions. Cadre simple, plans fixes, lumière faisant ressortir les couleurs avec quelques incursions dans le fantastique et dans la série noire, le tout dans une économie réduite donc demandant maitrise, rapidité et débrouillardise.
Olivier : On avait commencé la production, et on savait qu’on allait travailler avec la Finlande. Il fallait donc qu’on trouve un chef de poste en Finlande. On a pensé à Timo Salminen, car il avait une vraie patte.
Fred : Le directeur de production de l’époque Rémi Pradinas lui a envoyé le scénario car il avaient déjà travaillé sur un road-movie ensemble.
Olivier : Il a dit oui. Avec lui, c’était l’assurance d’avoir une image sublime. Et il avait une culture du film noir et du rock qui collait parfaitement au film.
De qui vous êtes-vous inspiré pour le personnage de Georg Sarineff ?
Olivier : À la base c’était Kaurismäki, mais c’est devenu En attendant Godot… Plus on basculait dans la fiction, et plus on voulait s’en débarrasser. Au départ, on s’est également inspiré de Buñuel, Renoir et André De Toth pour ses dialogues, mais tout a disparu. Il reste néanmoins une phrase d’André De Toth, qui dit « aujourd’hui les films sont faits par des pharmaciens ». Pour son costume, on s’est inspiré d’une photo de Raoul Walsh. C’est devenu un vrai personnage, dont on a décidé qu’il serait antipathique et aigri.
Fred : Par rapport à ce qu’il dit, c’est un concentré du cynisme lamentable d’une bonne partie des dirigeants de ce monde, même dans la création, rentabilité avant tout. On a écrit il y a cinq ans et depuis il y a eu le Médiator, la déroute financière, le nucléaire au Japon…
Que vont chercher ces deux personnages au fin fond de l’Alaska ?
Olivier : C’est un peu illusoire ce qu’ils vont chercher… Car comme dit Douglas, « on atteint jamais le sommet ». Ils vont chercher la reconnaissance et la réussite.
Fred : Oui, ils vont chercher le Saint Graal, le truc qui va les sortir de l’impasse par la grande porte. Ils ne savent même pas où ils vont exactement. Comme toi, comme nous en partant en repérage, ils confondent l’Alaska, le pôle Nord, le Cercle Polaire… Ils s’attendent à croiser des ours blanc et des pingouins et vont prendre une limule dans leur filet. Le but est une utopie mais ce qu’il se passe durant le voyage va finir par influer sur ce qu’ils sont, sur ce qu’ils vont devenir, même si le film laisse tout le monde avec cette question : Et maintenant ?
Vous-même, que vouliez-vous aller chercher en tournant à l’étranger ?
Fred : La même chose que nos personnages, cinématographiquement ce devait être un monde vierge et un jour sans fin dû au midnight sun, le soleil de minuit. En juin le soleil ne se couche jamais, il se déplace sur la ligne d’horizon dans une lumière orange, Les végétaux poussent non stop, les animaux ne dorment pas, les gens pareil. Très déstabilisant. Mais avant, pour y arriver il a fallu traverser l’Europe. Un territoire inconnu.
Olivier : C’était une envie d’aventures, tout simplement. Il y avait pour nous français, la question : quelle aventure est-elle encore possible ? D’une certaine manière, on pensait qu’on allait être des explorateurs. C’était aussi faire notre route 66 à nous. Envisager l’Europe comme nos États-Unis, maintenant qu’on peut circuler librement un peu partout. C’était aussi une manière de rendre la pareille à Kaurismäki, qui avait fait le voyage en sens inverse avec La Vie de bohème, et imitait Jean-Pierre Léaud dans son premier court-métrage.
Quelle est une des scènes dont vous êtes le plus fiers ?
Fred : Il ne s’agit pas de fierté mais à chaque fois que je revois cette voiture avec des flammes qui monte à travers un no man’s land dans une lumière grise métallisée et qu’elle traverse un village fantôme moteur explosé et fumant pour échouer au milieu de nulle part, je suis ému.
Olivier : je pense en premier lieu à celle de Ströller, le producteur malade qui s’exprime en tapant sur un clavier d’ordinateur qui reproduit synthétiquement la voix humaine. C’était très surréaliste. J’avais dit au chef-opérateur que je ne voulais pas qu’on voit le personnage… Il m’a avoué qu’il avait eu des insomnies, c’était la première fois qu’on lui demandait une chose pareille. Pendant le tournage, on envoyait du Daft Punk à fond dans les enceintes pour que les membranes vibrent. Le premier assistant disait les dialogues d’une voix monocorde pendant qu’André Wilms qui joue Ströller tapait sur son clavier. C’était assez compliqué à mettre en scène. Ça faisait un peu performance dans un musée. Mais je trouve que le résultat final marche vraiment bien !
Votre film a été sélectionné dans de nombreux festivals. Vous attendiez-vous à un tel succès ?
Olivier : Moi j’espérais surtout, mais je ne m’y attendais pas… Je me suis toujours dit que j’allais essayer de faire un cinéma qui intéresse toutes les catégories de personne. Je fais un film pour qu’il soit vu, donc bien sûr, ça fait plaisir.
Fred : Pas vraiment, en fait je ne me pose pas ce genre de question. Je fais les choses du mieux possible, ensuite ça nous échappe un peu. On pensait juste au festival de Sodankylä, le vrai festival, celui qui est à l’origine du film, celui ou vont nos personnages. Il a lieu en juin en Laponie et nous attendons la réponse. Ce serait vraiment formidable d’y faire une projection, la boucle serait bouclée.