Depuis le début de ce siècle, plusieurs comiques américains, généralement issus de la télévision (et plus particulièrement de l’émission culte Saturday Night Live), ont émergé sur le grand écran avec plus ou moins de bonheur, chacun proposant tous les ans sa comédie estivale. Jack Black fait partie du lot, bien que son humour plus anticonformiste, imprégné de culture rock et ses talents de chanteur en fassent un personnage plus à part. Tenacious D in : The Pick of Destiny est la transposition directe de l’univers farfelu qu’il a mis au point avec son groupe de rock et toute une série de sketchs pour la télévision. Mais pour supporter tout l’aspect déjanté de cet univers, un certain travail cinématographique n’aurait pas été de trop.
Il n’y a guère plus que dans la comédie que le cinéma hollywoodien de studio arrive encore à s’épanouir, sauf exception (Spider-Man 3). C’est le seul espace cinématographique où il s’autorise une certaine respiration, au-delà du formatage des majors et du simple postulat « scénario illustré ». Deux éventuelles raisons à cela : tout d’abord la plupart de ces films ne nécessitent nulle gros budget, d’où une pression moins importante de la part des exécutifs. Ensuite, le seul atout majeur de ces comédies, la seule chose sur laquelle elles reposent, pour laquelle elles ont été conçues, c’est l’interprète principale : un comique. Or, un comique, c’est quelqu’un qui traîne derrière lui ses propres codes, dont le corps ne répond qu’à ses propres lois, dont la logique, justement, ne correspond à aucune logique, bref c’est quelqu’un qui ne cadre pas avec le cinéma traditionnel. Les plus grands comiques de cinéma ont souvent été des réalisateurs (et pas des moindres : Tati, Chaplin, Lewis…) car il fallait, à la démesure de leurs jeux, construire un film tailler pour eux. Car le corps du comique c’est l’expression d’un rapport au monde : il est à lui seul une mise en scène. Inclure ce corps dans un film, c’est mettre en scène une mise en scène. C’est une mise en scène au carré. Il y a peu de cinéastes qui ont su accomplir cet exploit. Alors certains comiques géniaux (Louis de Funès, Jim Carrey, Toto etc…) ont le plus souvent trouvé leur expression la plus abouti, l’épanouissement le plus complet, leur prestation la plus drôle dans des films médiocres, oubliables, faits par des tâcherons car ces derniers ont une seule et unique qualité, et pas des moindres : le manque absolu d’ego et donc la capacité de s’effacer devant le corps comique.
Ces réalisateurs, aujourd’hui complaisamment et avec mépris qualifiés de faiseurs ou de yes-men, sont pourtant ceux qui ont le mieux su mettre en valeur l’avènement comique qui sévit déjà depuis quelque temps dans le cinéma hollywoodien, porté par des comédiens de talent tels que Ben Stiller, Adam Sandler, Will Ferrell, Owen Wilson ou Steve Carell. Des films drôles, parfois excellents, parfois ratés, parfois corrosifs mais toujours animés par le désir de suivre au plus près le corps du comique, de lui céder la part d’expression et d’émotion qui motive le cinéma : des films humbles. Le cas de Jack Black est intéressant puisqu’il s’agit d’un corps qui, s’il ne peut atteindre la plénitude, s’il ne peut donner libre cours à son étrange gestuelle (nerveuses, crispée et furtive), n’existe pas ou peu à l’écran. L’utiliser en demi-teinte (comme dans son rôle sous-exploité de réalisateur mégalo dans King Kong de Peter Jackson) revient à annuler tout son potentiel. Peut-être moins talentueux que Stiller et moins drôle que Ferrell, Black n’en est pas moins le plus farfelu et le plus excentrique de toute cette troupe, donc le plus fascinant. Son humour est furieusement ancré dans un univers spécifique, composé de références aux récits médiévaux, de blagues préadolescentes et surtout de culture rock. Tel un enfant-bulle, il ne peut survivre en dehors de sa sphère.
C’est donc en tout logique que sort aujourd’hui un film basé sur le groupe de rock qu’il a crée en 1994 avec Kyle Gass : les Tenacious D, grâce auquel il a exprimé à travers des chansons semi parodiques mais musicalement virtuoses toute l’étrangeté régressive de son monde. Le film narre la rencontre entre J.B. et K.G., deux paumés pathétiques, unis par l’amour du rock et désirant devenir les plus grands rockeurs de l’Histoire. Ils partent en quête d’un médiator légendaire, conçu à partir d’une canine de Satan, qu’il leur donnerait l’inspiration nécessaire pour composer leur chef-d’œuvre. Pour un scénario aussi fou, il aurait peut-être fallu une réalisation qui sache tenir la distance et recréer cette folie plutôt que la signifier paresseusement, ce que Liam Lynch a bien du mal à faire. Rock Academy (Richard Linklater, 2004) et Super Nacho (Jared Hess, 2006) fonctionnaient parce qu’une ligne toute tracée canalisait l’excentricité de Black et de son univers. Soit il suivait le schéma du film d’anticonformisme scolaire (façon Cercle des poètes disparus), soit il parodiait à sa manière les films de catcheurs mexicains des années 1950. Laisser cet univers en pleine expansion, ne pas le gérer, c’est risquer d’orienter le film vers le grand n’importe quoi, sauvé in extremis ici par le contraste saisissant entre Black et Gass (l’un agité et réactif, l’autre mou et peu expressif), l’audace et la débilité de certains gags et la qualité des numéros musicaux, ce qui offre une liberté de ton plutôt rafraîchissante.