Contemplatif et douloureux, ce premier film d’Atiq Rahimi, Afghan exilé en France depuis une vingtaine d’années, retrace la quête du grand-père Dastaguir et de son tout jeune petit-fils Yassin, partis rejoindre la mine où travaille son fils pour lui annoncer la mort du reste de sa famille lors du bombardement de son village. Cheminement dans la souffrance tant physique que morale des personnages, les images suivent le lent rythme des pas du vieillard et du jeune enfant dans des paysages d’une beauté rare, nimbés des halos de poussières qui emplissent le regard et les déchirures du peuple afghan.
D’un autre monde cette impression d’instant suspendu à l’écoute du temps qui s’écoule, cette attente de chaque seconde, cette lenteur de chaque geste du grand-père lorsqu’il déplie méticuleusement son balluchon rouge ou sort sa tabatière… Métaphore du temps, le film épouse la démarche difficile du vieillard, tenant par la main son petit-fils qui est devenu sourd à la suite du bombardement. Le silence intérieur de Yassin que l’on ne comprend que progressivement au cours du film, contraste avec le flot de paroles qu’il déverse en permanence, criant qu’on lui « rende les voix » et le bruit. Il explore à cette fin un tank abandonné, cherchant désespérément ces voix perdues à l’intérieur. Dans ce silence ambivalent de souffrance et d’apaisement, le film dévoile en creux les contrastes de l’après, l’après de cette guerre qui n’en finit pas, l’après avec ses séquelles et sa peine, indicible, à l’image du mutisme des personnages, comme le reflète le minimalisme des dialogues.
L’absurde de l’attente d’un camion qui ne passe jamais semble symboliser l’impuissance de Dastaguir et Yassin, perpétuellement abandonnés à leur longue traversée vers la mauvaise nouvelle. Le réalisateur représente ainsi implicitement, par cette répétition de l’échec, la difficulté des personnages à surmonter l’épreuve. Résurgence qui fait écho au traumatisme du vieillard, cauchemar le hantant sous la forme inattendue d’un spectre, image dénudée de sa fille disparue – image tellement opposée aux codes culturels en vigueur que Dastaguir ne retrouve finalement un semblant de paix qu’en la rhabillant mentalement.
Rahimi livre là un film d’une majesté et d’une poésie mélancoliques, où l’ensemble des images est illuminé de lumière et décline l’ocre de la poussière à l’infini et ce, dans une atmosphère où les visages parcheminés des personnages semblent se confondre avec le sable des chemins. Esthétique de la ligne horizontale, panoramas immenses et désertiques, nuages de poussières qui servent de transition entre réel et monde imaginaire, Terre et cendres, adaptation du récit précédemment écrit par le réalisateur (Terre et cendres, POL, 2000), traduit en images un regard méditatif et sombre sur les blessures de l’Afghanistan. À travers le conflit intérieur qui agite Dastaguir entre devoir de deuil et recul face à la difficulté de dire la mort, Rahimi modèle son film sur le parcours initiatique du vieillard, par-delà la fatigue physique et la solitude.
La puissance évocatrice des scènes d’attente, qui sont autant de tableaux autonomes basés sur le « rien », et l’absence de contextualisation de l’histoire renforcent cette impression de perte de sens qui caractérise l’homme tout en réaffirmant la survivance de l’émotion et du ressenti. Face à des codes de l’honneur afghan bouleversés, face à la trop grande souffrance solitaire des personnages, que reste-t-il de l’humanité dans une guerre interminable et absurde ? C’est bien une réflexion lucide mais lumineuse que transmet le réalisateur en se plaçant au creux des sillons des chemins et en recueillant à chaque plan les amas de cendres de son pays.