Le coffret Atiq Rahimi. Romancier et cinéaste, réunit trois documentaires réalisés entre 2000 et 2002, avant donc, Terre et Cendres et Syngué Sabour. Le titre du coffret rappelle le curriculum vitae du réalisateur plutôt qu’il n’indique un contenu : il n’est pas question, dans ces films, d’un quelconque rapport entre cinéma et littérature mais de l’Afghanistan du dernier demi-siècle, et un peu au-delà.
Le principal mérite de Zaher Shah : le royaume de l’exil (2002), (A)fghanistan : un État impossible (2000) et Nous avons partagé le pain et le sel (2001) est de donner épaisseur et résonance au mot « Afghanistan », au-delà des images de guerre, de burka et de visages enturbannées. Face aux inévitables simplifications et aux regrettables falsifications, ils rétablissent la complexité géographique, linguistique et surtout historique du réel afghan.
Le plus édifiant à ce titre est sans doute l’histoire du pays au vingtième siècle, esquissée dans (A)fghanistan : un État impossible. Loin d’apparaître comme une société tribale, faiblement historique et sans institutions, l’Afghanistan y apparaît comme un État – à l’efficacité et la stabilité certes problématiques –, sujet comme tel à des crises, des changements de constitution ou de régime, et cela pas seulement en raison d’interventions extérieures mais par une activité politique du – des ? – peuple afghan.
L’abondant usage des photographies d’époque confère une matière sensible aux évolutions historiques, matière qui concerne d’abord les corps : vêtements, accessoires, manière d’entretenir la barbe et les cheveux. Les variations dans l’habit et la présence des femmes sont particulièrement significatives. Le « sens de l’histoire » n’étant pas toujours celui qu’on croit, il est frappant de voir de nombreuses femmes intégralement voilées sur les photos les plus récentes et de découvrir des clichés des années cinquante que l’on croirait pris à Paris – et à l’occasion desquels le « sentiment » de la différence culturelle, et même ethnique, s’atténue de manière frappante.
Si c’est donc en historien plutôt qu’en romancier qu’Atiq Rahimi se confronte à l’histoire afghane, il choisit néanmoins de consacrer deux de ses films à des personnes qui sont aussi des personnages, le roi en exil (Zaher Shah : le royaume de l’exil) et un frère dominicain, Serge de Laugier qui transforma son domicile de Kaboul en orphelinat (Nous avons partagé le pain et le sel). Et dans (A)fghanistan : un État impossible, l’emploi de la première personne vient dans une certaine mesure se substituer aux figures subjectives des deux autres films ; mais malgré ce « je » ou ces « destins », Rahimi ne parvient pas toujours à mettre sur pied, dans la biographie comme dans l’histoire, une claire progression narrative.
Si ces trois films offrent un riche contenu, leur qualité proprement cinématographique est modeste. Les beautés qu’ils recèlent résident dans les archives qu’ils rassemblent plutôt que dans leur composition, qui ne va pas sans un peu de maladresse et même quelques séquences très laborieuses, telles que la promenade dans le jardin du roi dans Zaher Shah : le royaume de l’exil, où la caméra ne parvient décidément pas à se placer, ou la gênante crise de fou rire, qui plus est au ralenti, dans Nous avons partagé le pain et le sel. C’est donc essentiellement des occasions de s’instruire qu’il faudra chercher dans ces trois documentaires – ce qui n’est pas rien.