Une des anomalies du cinéma indépendant américain est d’avoir fait de la marginalité un stéréotype. C’est un défaut que le réalisateur Azazel Jacobs, qui n’en est pas à son premier film mais est encore inconnu chez nous, renverse astucieusement en faisant le portrait d’un inadapté : Terri, un ado qui ne porte que des pyjamas et se crée un petit groupe d’amis, tous comme lui plus ou moins marginaux. Un film sélectionné notamment aux festivals de Sundance, SXSW et Locarno.
Terri est un de ces films qui créent un microcosme autour de trois ou quatre personnages et regardent, avec tendresse, la vie qui passe. En l’occurrence, ce microcosme se construit autour de Terri, un lycéen décalé qui vit seul avec un oncle malade et encaisse à longueur de journées les vannes des autres élèves sur son poids. Pour des questions de confort, l’ado décide d’abandonner les tenues traditionnelles et d’étrenner au lycée sa grande collection de pyjamas – un détail, un motif amusant traité par le scénario avec originalité. Cette bizarrerie en effet s’impose dans le film sans jamais être vraiment développée, amplifiée, abordée comme telle. Relevée une ou deux fois – au détour d’un dialogue, du regard d’un personnage – elle devient ensuite anodine.
Dans ce détail et dans la façon dont il est banalisé par l’intrigue et ses protagonistes se trouve l’originalité et la qualité du film d’Azazel Jacobs. Le renversement qu’il accomplit tient essentiellement à la représentation qu’il propose de l’anticonformisme : objet changeant, en constante mutation, qui s’incarne ici dans le corps disproportionné d’un ado réservé et malin. Le réalisateur et son scénariste réussissent à faire en sorte que les singularités des personnages, contrairement à l’image qu’en donne habituellement le cinéma, ne soient jamais convenues. L’audace, en fait, est de représenter leur inadéquation au monde par l’intermédiaire de leur regard, comme si cet univers auquel ils sont étrangers n’avait au fond pas d’importance, était pour eux secondaire. Comptent alors le rapprochement amical entre Terri et le conseiller du lycée, leur répugnance à être considérés comme des freaks, le renversement répété qu’ils imposent à la moindre situation. Chaque fois qu’on attend un cliché, l’intrigue s’échappe car le récit est donné depuis la bulle, l’espace très restreint de leur amitié naissante.
Terri a, en dehors de cette singularité, toutes les formes de la comédie dramatique indépendante à l’américaine, à commencer par la petite musique qui le parcourt de bout en bout. Là où il s’en distingue heureusement, c’est donc dans sa maîtrise du portrait, dans la représentation des multiples particularités des caractères de ses personnages – qui évitent, dans l’intrigue comme à l’écran, la catégorisation qu’on attend. Avancés comme dans une galerie de portraits traditionnels (l’ado marginalisé, le conseiller sympa, la blonde populaire qui fait rêver tous les gamins avant de subir un revers de fortune, etc.), les personnages bottent en touche et proposent quelque chose de différent : un sympathique compagnonnage, une balade dans l’univers convenu du lycée où leurs amusantes figures semblent inappropriées. Ce qu’ils sont est toutefois quelque chose de très simple : des copains qui ont tous un bon fond.
Le charme du film (c’est sa principale qualité) vient de ce qu’il injecte dans la norme les étincelles d’étrangeté de ses personnages, qui ne deviennent jamais étranges pour autant. La douceur du regard du réalisateur, qui embrasse surtout la vision de Terri et de Mr Fitzegerald, est électrisée par un savoureux second degré : celui de l’irrévérence qui ne se donne jamais pour telle, sinon pour un bon sens habituellement perdu de vue par ce type de petits films. Vivifié par son intérêt permanent pour le trouble, Terri est une jolie comédie dramatique dans laquelle l’accord avec le monde, au lieu d’être le terme de la fiction, est remis à plus tard. Il s’agit moins d’une comédie coming-of-age que d’une intrigue centrée à plein sur l’adolescence et ses égarements. L’amitié touchante du protagoniste avec un homme plus âgé, son émouvante réaction à l’offre d’une jeune fille en mal d’attention sont les points culminants d’une fable drôle et sensible.