Réalisateur allemand bien établi à Hollywood, Robert Schwentke a notamment réalisé deux volets de la saga Divergente. Qu’il décide de revenir au pays natal pour y tourner un film au budget bien moindre, qui plus est dans un ancrage réaliste, est à la fois étonnant et prévisible : étonnant, parce que malgré l’inflation ces dernières années de films historiques allemands prenant la Seconde Guerre mondiale pour théâtre, le point de départ de The Captain laisse espérer un peu de cruauté et de noirceur en lieu et place de l’académisme habituel – à la toute fin de la guerre, alors que la partie est déjà perdue depuis un bon moment pour les armées du IIIe Reich, des escadrons de soldats ivres sillonnent la campagne en tirant indifféremment sur les déserteurs et les fantassins égarés. Mais le film s’avère dès les premières minutes n’être qu’un récit de plus sur la Seconde Guerre mondiale ; un produit anecdotique pensé pour l’export, sans nuance et sans prise de risques.
L’habit et le moine
Le « Capitaine » du titre n’est au départ qu’un jeune déserteur allemand prénommé Willi Herold (joué par le prometteur Max Hubacher) ayant échappé de justesse à des soldats fous furieux qui le poursuivent dans leur char d’assaut. Après s’être vaguement lié d’amitié avec un soldat rencontré sur la route, qui finira transpercé par la fourche d’un fermier dont ils avaient tenté de voler les œufs, Willi poursuit son chemin et découvre un véhicule abandonné dans lequel il trouve un peu à manger et surtout un costume de colonel qu’il enfile aussitôt.
L’idée est plutôt belle : dès le moment où il enfile ce costume, Willi devient le « Capitaine ». L’habit fait le moine. Mais les quelques minutes de course-poursuite au début du film ont déjà jeté un soupçon sur Schwentke que la scène – certes assez intéressante – de la métamorphose subite ne fait pas disparaître. Musique tonitruante, mixage son anormalement fort, noir et blanc trop propre sur lui, mouvements de caméra hyper visibles : le film a à peine commencé qu’il ressemble déjà à une gigantesque machine de guerre hollywoodienne produite à l’européenne. En cela, The Captain paraît s’inscrire dans une nouvelle tendance du cinéma allemand qui, avec des moyens relativement modestes, vise l’efficacité des superproductions américaines à coups d’effets sonores et visuels spectaculaires des plus assommants.
Le petit banquet des horreurs
Pour un film qui porte l’ambition de rendre palpable la folie d’un IIIème Reich périclitant de toutes parts, The Captain réussit le prodige d’être simultanément irresponsable et inoffensif. Irresponsable : parce que le réalisateur ne recule devant rien, se figure que l’on peut absolument tout montrer au cinéma. Et rien ne nous sera épargné : coups assénés aux prisonniers du camp de déserteurs, fosse commune où l’on entasse les uns sur les autres quelques uns des malheureux avant de les faire exploser vivants, séances de tir sauvage sur fugitifs et autres réjouissances.
On peut bien sûr choisir de représenter l’horreur et l’abjection du nazisme, mais à condition de s’engager dans un vrai point de vue de cinéaste. Les séquences apparaissent ici montées comme les différentes attractions d’une visite touristique interactive, pour rendre la pilule plus facile à avaler. L’imposture originelle du héros est d’ailleurs rapidement transformée en simple distraction, alors qu’elle aurait pu devenir un enjeu moral intéressant : Willi n’est finalement qu’un gamin en quête d’aventure qui s’effarouche un peu lorsque le spectacle est trop insoutenable (il s’éclipse ou se bouche les oreilles lors des séquences d’abjection qui sont montrées au spectateur, ce qui est suffisamment éloquent en ce qui concerne le respect qu’accorde Schwentke aussi bien à son personnage qu’au spectateur de son film).
Le film avançant, Robert Schwentke multiplie de fait les plans esthétisants avec ralentis du plus mauvais goût, façon « tableaux vivants d’Otto Dix », pour bien montrer que les nazis étaient d’affreux jojos bêtes et méchants (contrairement à l’ambition affichée dans le dossier de presse de les représenter comme des gens « normaux » pour souligner la banalité du mal), les scènes de danse « décadentes » en hommage (raté) à Fassbinder et les effets visuels lourdingues (une bombe qui nous explose en pleine figure lors d’une attaque sur le camp de prisonniers). Le générique de fin nous montre un char d’assaut lancé dans les rues du Berlin d’aujourd’hui, où trône fièrement Willi Herold : pour nous dire, au cas où nous n’aurions pas compris, que la mémoire douloureuse de la guerre nous poursuit encore ? The Captain aura toutefois involontairement prouvé le contraire pendant ses deux heures : une séance de cinéma inconséquente pour nous exempter de la nécessité de réfléchir, encore et toujours, à la persistance de la grande histoire dans notre présent. Pas tout à fait accompli, mais autrement plus courageux, un autre film allemand vu cette année à la Berlinale faisait de cette question son vrai problème de mise en scène. Il s’agit de Transit, et son auteur réussit là où Robert Schwentke échoue, pour une raison bien précise : il n’essaye pas de plaire à tout prix.