Ne serait-ce que par les exemples récents de Clint Eastwood, Mel Gibson ou encore Sylvester Stallone, on sait ce qu’un corps humain usé par les ans mais s’obstinant dans le cinéma d’action peut avoir d’émouvant, voire de pathétique au bon sens du terme. Cette dimension-là, Red (acronyme bilingue pour « retraités extrêmement dangereux»…) la refrène et la régule, comme tout en lui est réglé au millimètre près pour offrir au spectateur le mélange de comédie et d’action défini dans le programme, et rien de plus.
Les quatre têtes d’affiche jouent des agents de la CIA retraités et d’âges mûrs qui, découvrant que leur ancien employeur cherche à se débarrasser d’eux de manière plus définitive, ressortent l’artillerie lourde et vont en remontrer aux petits jeunes qui croisent leur chemin. Face à ce petit défi d’incarner, dans ces rôles de vétérans de l’action musclée, une sorte de révolte pour rire contre un certain jeunisme, deux tendances d’interprétation se profilent. La première (Bruce Willis et Morgan Freeman) consiste à se la jouer décontracté face à une existence dont on devine la dégradation de plus en plus proche, face à une adversité plus vive que soi, au moins physiquement ; on sent que ces deux acteurs savent y faire (pour Freeman, c’est loin d’être nouveau ; quant à Willis, on l’a déjà vu dans ce registre faux cool, notamment dans Slevin) et qu’ils ne forcent pas beaucoup leur talent. La seconde (John Malkovich et Helen Mirren) est plus casse-gueule, consistant en un contre-emploi assez hystérique où l’image de chacun frôle l’autoparodie : Malkovich, en ex-agent paranoïaque au dernier degré, retombe dans les gesticulations du pénible Burn After Reading, tandis que Mirren peine à rendre crédible son personnage de tueuse d’élite impitoyable et néanmoins sentimentale à ses heures.
Vieille mentalité
Mais on peut comprendre que les acteurs n’y mettent pas un peu plus du leur pour faire exister leurs personnages. Ils sont à l’image du film : professionnels jusqu’au bout des ongles, refusant de se lâcher, de se laisser gagner pour le potentiel de folie qu’ils portent pourtant avec eux, même quand ils la surjouent. Quels que soient ses dérapages contrôlés, Red reste retranché derrière ses trucs de comédie d’action en pilotage automatique avec investissement minimal : porté par une musique passe-partout à laquelle seule échoit le rôle d’annoncer le danger, le comique, les moments de détente ; mis en images par un quidam sans personnalité qui a tout juste conscience que le montage rapide, ça peut servir à différencier les scènes d’action des scènes plus calmes… Même l’humour caustique des dialogues, qui constitue l’essentiel du comique du film, reste calibré, taillé puis resservi à l’écran comme avec un clin d’œil de connivence, comme un show routinier qu’on regarderait sans grand espoir d’être sincèrement surpris, ému, amusé etc. Le film qui résulte d’un tel système n’est pas détestable, mais il est simplement privé de tout enjeu, tout ce qui pouvait y être intéressant étant soigneusement corseté par l’artillerie d’usage.
Pour en revenir à nos acteurs, voir ces quatre-là s’en tenir à un investissement aussi minimal a de quoi attrister quelque peu, faire songer à leur retraite peut-être pas si lointaine. C’est bien flagrant quand on compare leur jeu à celui d’un autre acteur, un vrai vétéran, qui ne fait néanmoins qu’une simple apparition : Ernest Borgnine dans le rôle d’un archiviste. Le contraste est saisissant : âgé de 93 ans dont 69 de carrière, l’acteur de La Horde sauvage — un de ses quelque 150 films — paraît dans ses petites scènes plus vivant, concerné et content d’être là que les quatre stars réunies. Pour lui, au moins, on est heureux.