Annoncé en fanfare comme le blockbuster le plus onéreux jamais produit par Netflix et porté par deux têtes d’affiche bankable s’il en est, dont Ryan Gosling, de retour sur les écrans après un hiatus de quatre ans, The Gray Man confirme le penchant inflationniste du cinéma de Joe et Anthony Russo : leur passage tonitruant par le MCU (Marvel Cinematic Universe) avait déjà largement illustré leurs prétentions au divertissement totalisant, pour un résultat pour le moins indigeste. Une approche pas si éloignée de celle d’une autre fratrie aux yeux plus gros que le ventre, les Duffer, coauteurs de Stranger Things, dont la saison 4 en forme d’apothéose fait penser à une relecture feuilletonesque interminable d’Avengers : Endgame. Déterminé à repousser les limites de l’actioner d’espionnage, The Gray Man échoue dans ses ambitions, lesté par une mise en scène aux semelles de plomb. Une photographie blême et un découpage le plus souvent illisible gâchent les possibilités figuratives qu’auraient pu ouvrir les acrobaties de Gosling pour échapper aux guet-apens que ne cesse de lui tendre sa némésis, campée par Chris Evans. C’est tout particulièrement vrai d’une séquence assez inspirée sur le papier, mais à l’exécution brouillonne, qui voit le héros s’extraire d’un avion en chute libre, dont le fuselage s’effeuille peu à peu sous l’effet d’une brutale dépressurisation.
Prisonnier de sa surenchère, le film préfère bourriner à tout bout de champ, multipliant les embardées tournées à la steadicam, loin de la grâce houdinesque des meilleurs Mission : Impossible. Gosling promène dans ce patchwork sans queue ni tête ses muscles de castagneur flegmatique, tandis que Chris Evans, accoutré comme un mannequin de GQ, passe son temps à cabotiner, dans une parodie du Travolta de Volte-face. Coincée entre eux, Ana de Armas échoue quant à elle à reproduire son coup d’éclat du dernier James Bond, où elle volait la vedette à Daniel Craig le temps d’une brève apparition. À les regarder se poursuivre et s’affronter dans des paysages défilant comme un diaporama de luxe, on a l’impression d’assister à une fête de trentenaires à succès, qui célèbrent leur premier million en se livrant à une chasse à l’homme à balles réelles. En cela, le film consacre une esthétique de la mondialisation nouveau riche des plus antipathiques, dont Netflix semble vouloir perfectionner la formule, de Six Underground à Red Notice, en passant par Extraction, scénarisé – surprise – par Joe Russo.