Dans la filmographie un peu fourre-tout de Barry Levinson, la rencontre de Greta Gerwig et Al Pacino avait encore de quoi intriguer. La seule constante du réalisateur depuis trente ans est peut-être d’ailleurs de proposer des castings un peu originaux, et de parvenir à camoufler derrière eux la banalité de sa mise en scène (Good Morning Vietnam, Rain Man) ou pas (Bandits, L’Envie, Panique à Hollywood). L’affiche de The Humbling témoigne de cette recette en reprenant exactement celle de Rain Man vingt-cinq ans après. Et pourtant ici, ce sont peut-être moins les acteurs qui sauvent le film in extremis que le texte original.
Mauvais rêve
Adapté du roman de Philip Roth, The Humbling accompagne la chute de Simon Axler, un comédien de théâtre au bout du rouleau qui tombe en dépression et ne parvient plus à distinguer la fiction de la réalité. C’est le moment que choisit Pegeen, jeune prof de théâtre amoureuse de Simon depuis qu’elle l’a connu enfant, pour emménager chez lui. Pour rendre compte de la folie de Simon, Levinson balance – comme c’était déjà le cas dans son dernier film The Bay – entre une forme qui se voudrait expérimentale et un désir de ne jamais perdre son spectateur. À chaque emballement de la narration, du montage, à chaque étrangeté, correspondra son image d’Al Pacino se réveillant d’un mauvais rêve. En toutes circonstances, nous serons capables de distinguer le régime des images que nous venons ou que nous sommes en train de voir. En voulant ainsi rassurer, Levinson empêche aussi de toucher à la perte de repères de son personnage. Il le réduit à un caractère un peu névrosé et lunaire. L’exemple le plus édifiant de ce désir de tout expliquer reste peut-être le choix de traduire les introspections du roman par des scènes de dialogue avec un psy via Skype.
King Lear
Il faut attendre la dernière partie du film pour trouver la séquence la plus réussie, qui accepte enfin de ne statuer sur rien et laisse dans la confusion qu’on imagine être celle de Simon. Ce qui est révélé de la relation entre Simon et Pegeen, dans ce que l’on découvrira pourtant être un nouveau rêve du comédien, ne sera pas réduit à néant par le retour au réel. Nous ne sommes plus dans l’ordre du fantasme. Un trouble plus profond du personnage se fait jour, dont l’interprétation nous échappe, mais qu’on sent enfin être là. La fin du film apporte alors une complexité bienvenue et fait de The Humbling une variation du Roi Lear de Shakespeare, qui doit bien sûr beaucoup à Philip Roth.