Dans les années 1980, Steven Spielberg n’avait pas encore pour seule ambition de réécrire l’histoire, de transformer sa filmographie en conscience morale de ses contemporains. Cette époque est aussi celle de la trilogie d’Indiana Jones, d’E.T., qu’il réalise, et de nombreux projets qu’il produit, emblématiques de leur époque, et passés à la postérité (L’Aventure intérieure, Gremlins, Poltergeist, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?…). Une telle notoriété vient-elle de projets par trop consensuels ? Peut-être. Mais également de leur appartenance au domaine du conte, certainement le meilleur dans lequel Spielberg puisse officier. Le Secret de la pyramide appartient certainement à la catégorie du conte, mais, malgré ses grandes qualités, souffre de bémols qui l’empêchent de conquérir la même popularité que les autres productions Spielberg.
Pauvre Sherlock Holmes. Après Billy Wilder, voilà Spielberg, Chris Columbus (au scénario) et Levinson au chevet de sa vie amoureuse. L’homosexualité latente du couple Holmes / Watson dans les œuvres de Conan Doyle est ici bien loin, tandis que la question reste ouverte chez Wilder. La mystérieuse indifférence du détective à l’égard du beau sexe fournit l’argument à l’origine du Secret de la pyramide : quels terribles évènements ont pu pousser Holmes à s’éloigner pour toujours du voisinage des femmes ? Tout prend naissance alors que le fantasque mentor du jeune homme – déjà détective émérite, et qui vient de prendre un certain nouvel élève du nom de John Watson sous son aile – trouve la mort dans des circonstances mystérieuses, ainsi que nombre de ses anciens amis. Quel sombre secret réside dans le passé des hommes, qui est venu aujourd’hui les rattraper ?
Dans l’enquête du canon holmesien Le Ruban moucheté, tout est affaire d’illusion, de différence de perception visuelle. Cette idée est également au cœur de la malédiction qui frappe les victimes dans le Secret de la pyramide – une idée magnifiée par le talent considérable des artistes d’Industrial Light and Magic, la firme d’effets spéciaux de George Lucas, ici à son meilleur, avec des effets d’une impressionnante inventivité (voir pour s’en convaincre les superbes scènes de cauchemar, et notamment la scène du vitrail animé, aujourd’hui encore absolument remarquable). Le Secret de la pyramide allie donc deux facteurs importants : un catalogue d’effets spéciaux – alors (déjà ?) un solide argument de vente –, et la conscience que les histoires de Sherlock Holmes appartiennent de plein droit au domaine du fantastique, voire de l’horreur. Mais Barry Levinson conduit son train-fantôme avec beaucoup de sérieux – quelque fabuleux, quelque fantastique qu’il soit, son récit est bien réel, aussi crédible et tangible que peuvent l’être les enquêtes du détective de Baker Street alors qu’arrive leur conclusion. Le Secret de la pyramide respecte l’univers de Conan Doyle, tout en profitant à plein des possibilités offertes par le cinéma pour prolonger cet univers – il saisit, en somme, une des problématiques centrales à l’idée de l’adaptation.
Puisant son inspiration dans le même vivier du serial que la série des films d’Indiana Jones, le Secret de la pyramide s’inscrit dans la droite ligne de la tradition littéraire – serial elle aussi – des « continuateurs », auteurs qui prolongent un mythe littéraire déjà créé. Il faut dire que, quoi qu’en pense le tâcheron Guy Ritchie, on ne prend un univers tel que celui de Holmes qu’avec le respect et les précautions qui s’imposent. Respectant la trame narrative des œuvres écrites par Conan Doyle, le Secret de la pyramide nous met donc en présence du mystère avant même que Sherlock Holmes n’en ait conscience. Le spectateur, d’ailleurs, en saura toujours plus que Holmes sur les destins fantasmagoriques des victimes. Le spectateur est plongé dans le fantastique, tandis que Holmes se doit de garder la tête froide. Comme chez Conan Doyle, au spectateur / lecteur le frisson du fantastique, le plaisir de la découverte de la solution par Holmes. En bon continuateur, Levinson ne va donc pas inscrire son film dans son époque, dans une problématique moderne et actuelle – comme le fit Billy Wilder – mais rester au service des arcanes de son héros.
Pas vraiment de réalisateur, donc, aux commandes du Secret de la pyramide, mais un Barry Levinson aux ordres de son producteur Steven Spielberg et de son scénariste Chris Columbus. La recette éprouvée par le duo fonctionne – certes, elle fonctionne bien mieux quand le film est une rencontre avec un réalisateur pourvu d’une véritable vision – tel le Joe Dante de Gremlins. Barry Levinson, lui, donnera sa pleine mesure pour le meilleur et pour le pire dans le bancal Toys en 1992, mais il reste en retrait du Secret de la pyramide. Peut-être cette absence d’existence artistique est-elle ce qui a empêché le film d’atteindre le même statut de culte des autres œuvres auxquelles Spielberg était associé. Pourtant, la succession de morceaux de bravoure du film le prédisposait à un tel destin. Les personnages sont-ils trop atones, la jolie Sophie Ward trop absente de son propre rôle, Nicholas Rowe trop lisse dans le rôle de Holmes ? Ou peut-être cela tient-il à l’antagoniste principal. Une maxime veut qu’un film soit réussi si son méchant est réussi : malgré une présence élusive et inquiétante, le méchant du Secret de la pyramide ne tient pas ses promesses, malgré la sinistre signature qu’il appose finalement au bas d’un document. Sorte d’Indiana Jones jeune dans un Londres victorien convaincant, le Secret de la pyramide a subi, malgré ses faiblesses, sans beaucoup de dommages le passage du temps, et fait montre d’une solidité et d’une finesse dans le cinéma de divertissement qui font aujourd’hui très largement défaut au genre.