Cinéaste touche-à-tout et parfois peu regardant sur sa matière, Barry Levinson n’étonnera personne en passant par le home movie d’horreur. Vieux champion du ronron édifiant (dans ses grandes heures académiques : Rain Man, Good Morning, Vietnam), il va ici jusqu’à se confronter à une forme faussement neuve : le found footage. Sur fond de menace écologique et de secret gouvernemental, le réalisateur multiplie points de vue et couches figuratives afin de nous faire revivre la journée cauchemardesque d’une petite bourgade de la East Cost, sauvagement décimée par une petite puce carnassière. Fourre-tout et appliqué, The Bay est comme toute arnaque foraine : une gentille arnaque.
Originellement procédé de récupération et de détournement cher au cinéma expérimental, aujourd’hui marronnier fétiche du cinéma d’horreur, le found footage est un terme un peu galvaudé pour désigner un film uniquement composé d’images récupérées, amateurs, « prises dans le tas ». En français, il faudrait dire un « métrage trouvé ». Parfois portés par l’aura pleine de soufre de Cannibal Holocaust et souvent motivés par la success story du Projet Blair Witch, ces « métrages trouvés » ont pullulé sur les écrans ces dernières années pour naturellement se fondre avec un autre genre : le cinéma d’horreur. Mariage logique, pour au moins deux raisons. Déjà parce que, d’une certaine manière, ce parasitage entre quotidien et effroi illustre le cinéma d’horreur dans ce qu’il a de plus élémentaire : une image anodine, soudainement traversée par un éclair de terreur. Enfin parce que, à l’autre bout de la chaîne, il répond à une sorte de fantasme morbide du cinéma contemporain : sa dissolution tous azimuts dans le grand torrent d’images.
Le principe de ces « métrages trouvés » est simple : raconter une histoire en se bornant au regard d’un appareil d’enregistrement qui n’était pas prévue à cet effet. Sauf qu’ici ce n’est pas une ni deux ni trois, mais au moins cinquante caméras que se disputent les reines du récit. Dans The Bay, deux fils narratifs, entrelacés, se tissent : deux fils à l’agitation desquels le film provoque la peur. Le premier, qu’on doit tout entier aux maigres qualités de Levinson, n’est en réalité pas très flippant : c’est celui de voir une bactérie germer dans un corps – le faire pourrir, le faire crever. Programme attendu, programme respecté. Flippant, le second l’est en revanche beaucoup plus : c’est celui de prendre conscience qu’une ville peut à loisir se transformer en panoptique pervers, prêt à savourer le spectacle de sa propre destruction. Fascination, toujours, face à cette humanité qui, affamée d’images, irait jusqu’à pouvoir se dévorer elle-même, capable de transformer son extermination en télé-réalité à ciel ouvert. Plusieurs fois, presque sans y prendre garde, le film effleure cette volupté télévisuelle du carnage.
L’idée de ce cinéma, quoique non neuve, serait ainsi plutôt excitante, si tant est que Levinson réponde à cette aspiration réflexive par autre chose que le volontarisme. Dans une logique purement compilatoire, The Bay s’envisage comme une stricte application, scolaire et sans âme, d’un procédé esthétique qui, déjà devenu une routine pour les spectateurs, montre bien les limites de ce genre de petites machinations narratives. Aussi ludique que malhonnête, le récit suit une dynamique de simple colporteur, où il ne s’agit jamais que d’ébruiter des signes et des idées : que le récit singe la forme d’un documentaire complotiste et qu’il donne prise pour moitié à des images de reportages télé révèlent bien que, sous les chichis du procédé, Levinson préfère s’en tenir à un pragmatisme de bon faiseur.
Certes, le film est plein de bonnes intentions, il est selon les mots de l’auteur une « mise en garde », une sensibilisation sur un risque écologique pour le moins inquiétant : une pollution chimique générant un parasite dévoreur de chair. Évidemment, tout se base sur des faits réels. Et on sent le film hanté par cette idée : le réel. Label de crédibilité qu’il s’agit de floquer au revers de toutes les scènes, mais qui engendre plutôt un voile d’ironie involontaire : tout cela est trop grotesque pour convaincre, trop explicatif pour effrayer. Il faut voir comment le réalisateur parsème son récit d’accidents artificiels (scènes ratées, chutes, etc.), florilège d’impondérables en toc qui, en plus de virer très vite au running gag, sonne comme un certain aveu d’impuissance : à chaque fois que le réel tente un clin d’œil, c’est la fiction qui nous file un coup de coude. « Métrage trouvé » par terre, on n’en attendait pas tant, mais on aurait au moins aimé un métrage traîné au sol ; alors que The Bay est un faux documentaire écrit comme n’importe quelle fiction du genre, s’attachant juste à passer son récit au tamis du « tout-image-contemporain ».
Au lieu d’être une ligne de fuite ou un filtre problématique, le found footage est ainsi l’entonnoir dans lequel il importe de tout faire rentrer : le film d’horreur, le thriller parano, le Skype movie, le docu’ scientifique, le drame familial, la boucherie estivale. Sur ce point, et comme un prolongement de cette logique d’exhaustivité, le film est plombé par une très pénible manie : tout montrer, tout expliquer, tout éclaircir. Ce que The Bay ne comprend pas, c’est qu’à force de couvrir ses béances, d’irradier toutes ses zones d’ombres, de calfeutrer jusqu’au moindre trou narratif, il en vient à pécher sur l’essentiel, là même où Le Projet Blair Witch, par exemple, excellait, et là où le cinéma d’horreur, surtout, a souvent trouvé sa meilleure économie : la rétention. Parce qu’avec ses mille caméras il s’emploie à la traquer partout, The Bay ne trouve la peur nulle part (on est loin du beau travail d’archéologie d’After Earth). Souvent, le film donne la drôle d’impression de s’emballer tout seul. Son exhaustivité lui permet d’empiler les intentions mais l’empêche de prendre du recul sur sa trajectoire – terriblement prévisible – et sur son mouvement – répétitif et ennuyeux. Pas de panique donc, tout ceci est bien trop réel pour être juste.