Tirer la figure du migrant vers une fiction qui en dissoudrait dans ses codes l’inspiration documentaire et le poids sociologique : l’idée qui sous-tend The Last of Us n’est pas inédite, d’autres cinéastes avant Ala Eddine Slim s’étant prêtés à l’exercice — on pense à L’Autre Côté de l’espoir d’Aki Kaurismäki, ou à Hope de Boris Lojkine. Cependant, le réalisateur tunisien (surtout reconnu pour sa contribution à l’ouvrage documentaire collectif Babylon) tente de faire valoir dans sa propre variation une approche esthétique radicale. Sans dialogues, exclusivement centré sur son personnage principal anonyme aux interactions avec autrui limitées et sur son rapport à l’environnement, The Last of Us entend transformer graduellement l’acte de migration en une quête aux allures mythologiques. D’abord accompagné par un comparse, le héros sera séparé de lui suite à une attaque, et ne devra dès lors compter que sur ses propres forces. Le film tient bien la route tant qu’il ne repose que sur ce postulat de survival silencieux. L’homme évite tout contact avec ses semblables, observe d’un œil étranger le tumulte de la ville qu’il atteint, avant de poursuivre sa fuite solitaire dans la nature. Et si son regard, et celui de la caméra, peuvent s’arrêter pour balayer ce qui l’entoure, sa marche ne souffre guère de pause, sauf forcée (et le montage cut serré d’emboîter le pas à ce manque de repos). D’ailleurs, seule compte cette avancée, la notion de frontière à franchir restant tout à fait abstraite, jamais un réel enjeu dans le film. De migrant d’origine indéterminée, l’homme devient un vagabond apatride qui ignore les démarcations.
Ces belles notions sont bien portées dans la première partie du film, dans cette tenue stylistique tendant à la sécheresse. Or celle-ci butte, à mi-parcours, sur l’intrusion prononcée d’éléments de conte. Errant en forêt, notre taiseux tombe sur un homme plus âgé habitué des lieux, tout aussi taiseux que lui, mais avec une mystérieuses lueur d’intérêt dans le regard, et qui va devenir son mentor pour la survie dans ce milieu. À ses côtés puis après lui, le héros va trouver son inspiration intérieure et achever sa communion avec son environnement. La faiblesse du film dans cette seconde partie est à plusieurs niveaux. D’abord, le conte que devient l’errance du héros s’avère tout à fait banal, un cas d’école, borné par deux archétypes bien définis. Ces séquences initiatiques ne semblent exister que pour signifier que le voyage du migrant est passé du côté de l’imaginaire pur et codifié, où l’on retrouverait des motifs ancestraux ; et l’on comprend d’autant moins l’intérêt de ce basculement que cet imaginaire s’avère finalement mince et peu habité. Ç’aurait pu être différent si la mise en scène avait su se laisser inspirer par cet imaginaire, notamment dans les scènes frayant le plus directement avec le fantastique (les dernières du film, avec une lumière mystérieuse, puis une disparition). Mais arrimé à ses secs parti-pris initiaux, Slim ne se donne pas vraiment les moyens de donner à cette nouvelle dimensions la puissance d’évocation souhaitée — et c’est guidé par des signaux factices et peu prégnants que son héros finit par se perdre. À l’instar des dessins géométriques — signés Haythem Zakaria et accompagnés de sentences — qui servent d’intermèdes au film, le mysticisme visé in fine par le film peine à dépasser l’illustration de l’intention.