À la sortie de Martyrs, en 2008, il s’en est trouvé, dans les rangs de la critique et des spectateurs, pour voir en Pascal Laugier un génie provocateur, d’autres, en revanche, le tenaient pour un arnaqueur sans beaucoup d’envergure. Dans les deux camps, le réalisateur de Saint-Ange était attendu au tournant : on peut dire que Pascal Laugier répond avec talent. Étonnant et intelligemment construit, The Secret permet de discerner une véritable thématique dans l’œuvre de Pascal Laugier, avec une acuité qu’aucun de ses premiers films n’avait permise.
The Secret : voilà un titre proprement sibyllin. Hélas, à vouloir utiliser en France un titre anglophone, pourquoi ne pas avoir conservé le très inquiétant The Tall Man original ? Ce « grand homme » est une sorte de croque-mitaine d’une petite bourgade forestière du nord de l’Amérique. Régulièrement, les enfants disparaissent, et toujours, sur les lieux, on entraperçoit la silhouette massive d’une créature humanoïde. Les enfants ne sont jamais retrouvés. Quelle est la chose qui hante les bois ? Et qu’a-t-elle fait des enfants ? L’argument de base de The Secret séduit, avec un parfum suranné évoquant autant les classiques du cinéma d’horreur que les histoires épouvantables, racontées au coin d’un feu, pour le ravissement peu rassuré de son auditoire.
Pascal Laugier va partir dans la direction attendue, mais le réalisateur, rapidement, choisit de se jouer des attentes, des illusions instaurées par les balises connues d’un récit en apparence prévisible, comme le font une bande-annonce qui semble, de prime abord, trop en révéler, ou une affiche au slogan, « on n’a jamais été autant bluffés depuis Sixième Sens », d’un manque de subtilité plutôt contre-productif. C’est le cas, également, pour le personnage de Julia Denning (Jessica Biel), mère esseulée et bien décidée à découvrir ce qu’il est advenu de son gamin disparu. Les valeurs sûres d’un récit tel que celui-ci se basent sur la pureté des personnages, sur notre capacité à croire à leur innocence : une certitude que nous refuse perpétuellement Pascal Laugier, même dans les scènes les plus attendues.
Ce jeu sur les attentes se poursuit finement au long du film, notamment autour des références évidentes aux twists à la M. Night Shyamalan. À tort ou à raison, celui-ci a durablement marqué la narration horrifique avec ses retournements de situation finaux : conscient de l’état d’esprit de son auditoire, Laugier en jouera donc, avec une légèreté diabolique. Ce jeu avec les codes narratifs n’est certes pas nouveau : la grande qualité de The Secret est de savoir se livrer à l’exercice tout en construisant un écrin narratif intriguant, qui s’appuie autant sur ses références que sur un sens de l’efficacité horrifique certain. Plus passionnant encore, Pascal Laugier choisit de poursuivre son numéro d’illusionniste dans le portrait de ses personnages : plus le film révèle de choses sur eux, moins le spectateur est sûr de lui – qui est à blâmer ? Qui est coupable ? Qui est le monstre ?
Si sa narration va effectivement beaucoup jouer des retournements de situation, ce n’est pas le seul enjeu esthétique du film, qui s’attache, avec une photographie sombre, nocturne, directement héritée de l’univers horrifique, à faire évoluer son mystère avec constance. Ce choix narratif ambitieux implique de ne pas privilégier l’aspect narratif au détriment de l’aspect esthétique : un parti pris qu’on n’associait guère, jusqu’ici, au cinéma de Laugier. Dans Martyrs, Laugier enlisait son questionnement moral dans une démonstration brutale et sans la moindre nuance. Le réalisateur parvient dans The Secret à alléger son propos, à l’illustrer par une mise en scène dont on a l’impression qu’elle a toute entière été pensée comme un puzzle narratif étourdissant, et dont la pose de la dernière pièce découvre une image déroutante, et moralement incertaine.
Malheureusement, The Secret n’est ni exempt de lourdeurs, ni de facilités : ainsi, l’énonciation du positionnement moral du réalisateur, dans les séquences finales, manque de la spontanéité qui imprègne le reste du film. Pour autant, celui-ci prend la forme d’un récit qui aura été longuement pensé pour aboutir à cette question, qui apparaît désormais comme centrale. Par essence, et depuis le premier monstre tragique – la créature de Frankenstein – la morale établie est vue comme un carcan, avec, comme première victime, la différence. Laugier choisit de brouiller les cartes, ce qui pourrait n’être que pure esbroufe s’avère finalement une vision moderne de la question de l’identification. Que The Secret, du fait de ces interrogations, devienne dérangeant, à la vision malaisée, est un fait : c’est, en tout cas, plus prégnant que tout ce que Pascal Laugier nous a donné à voir jusqu’à maintenant.