Au sein de la petite vague du nouveau cinéma d’horreur français (déjà trois propositions en un an : Grave, Revenge, La nuit a dévoré le monde), le réalisateur Pascal Laugier fait figure de vétéran. Depuis 2004, avec Saint-Ange, Martyrs et The Secret, il met en scène la torture et l’humiliation de ses personnages (généralement des femmes) dans un cinéma à la violence très explicite et à grand renfort de twists scénaristiques. Si ses précédents essais avaient inégalement convaincu, notamment Martyrs pour sa qualité scénaristique discutée et la gratuité de sa violence, Ghostland rééquilibre la balance en jouant avec habileté des codes du genre et prolonge la rédemption amorcée avec The Secret. Avec comme tête d’affiche Mylène Farmer (dont Laugier a réalisé un clip en 2015) en mère de deux filles séquestrées par de monstrueux tortionnaires, Ghostland s’inscrit dans la généalogie d’une esthétique horrifique américaine à laquelle il rend hommage (Lovecraft, Carpenter, Rob Zombie…) tout en élaborant, autour d’un scénario malin, un torture porn malsain à souhait.
« No French, Mum ! »
Comme il l’avait fait avec The Secret, Laugier s’inscrit dans un référentiel géographique et générique purement américain : situé dans une Amérique du nord non identifiée et pourtant bien connue, celle des bourgs ruraux, des stations-service miteuses et des pavillons isolés, cette coproduction franco-canadienne assume avec humour le reniement de son identité française. Lorsque Pauline (Mylène Farmer) adresse quelques mots en français à Beth et Vera, elle est systématiquement interrompue par une remontrance irritée ; le reste du temps, les dialogues sont en anglais. De fait, l’univers référentiel de Ghostland est lui aussi américain : outre Lovecraft, qui plane au-dessus du film dès le générique (qui s’ouvre sur une citation faisant l’éloge de l’auteur), les personnages évoquent innocemment Rob Zombie, dont l’univers clownesque et ultraviolent est inlassablement convoqué. Cet hommage assumé (« Maman aime les vieux trucs » entend-on) ne suffirait pas à faire du film une réussite s’il n’était sérieusement corseté autour d’un scénario maîtrisé et autoréférentiel : après une séquence initiale où elle voit sa mère et sa sœur battues par deux agresseurs, Beth, adulte, est devenue l’écrivain de romans d’horreur à succès qu’elle rêvait d’être. Elle reçoit un appel de sa sœur Vera, qui, devenue folle depuis cet épisode traumatique, vit recluse avec sa mère dans la même maison où elle semble revivre inlassablement la même scène – à moins que, en réalité, celle-ci ne se soit jamais arrêtée…
Miroir chinois
Cette confusion entre le réel et l’imaginaire d’un auteur de roman d’horreur constitue le creuset scénaristique de Ghostland et rappelle inévitablement L’Antre de la folie de John Carpenter, inspiré de Stephen King et H. P. Lovecraft. En construisant dans un premier temps le récit autour de la rivalité entre les deux sœurs, Laugier ouvre une première piste qui trompe le spectateur : Vera entretiendrait sa folie pour faire payer à sa sœur les violences qu’elle a subies. Mais peu à peu, le doute croit insidieusement et Beth se prend à croire au discours de sa sœur. A l’image du miroir chinois dans lequel elle se cache pour échapper aux tortionnaires, Ghostland révèle, comme les précédents films de Laugier, un double fond. In fine, l’invitation explicite des policiers à transcrire cette violence en roman sonne comme une ultime (et évidente) pirouette, qui vient refermer le geste « meta » de Laugier.
Uglyland
Stylistiquement, les horreurs de Ghostland évoquent les formes et les personnages de Rob Zombie, le réalisateur de La Maison des 1000 morts et The Devil’s Rejects. La maison, extension de l’espace mental malade de la vieille tante qui l’a léguée, est décorée avec des poupées de porcelaine malfaisantes, des sculptures démembrées, des animaux empaillés. Les monstrueux assaillants, désigné comme un « ogre » et une « sorcière », débarqués dans un camion de bonbons, sont lentement dévoilés, jusqu’à un magnifique plan frontal de l’un d’entre eux, la « sorcière », le visage apaisé, presque heureux, lors d’une séance de maquillage préparatoire à la séance de torture. L’esthétique de la laideur déployée par le film culmine dans les mises en scène sordides qu’organisent les tortionnaires : les filles, défigurées par les coups, sont maquillées en poupée pour subir les jeux malsains de l’ogre. Face à cela, la révolte des femmes est brutale, enragée, d’abord par la défense qu’engage la mère lors de l’assaut initial, puis lorsque les deux sœurs se débattent de plus en plus violemment pour se libérer de ses rituels. La physicalité de la violence, faite de chocs sourds et de corps tordus et blessés (la première « charge » de l’ogre sur Mylène Farmer en est l’exemple), est l’incontestable succès du film.