Réalisateur d’un Saint-Ange au mieux intéressant, Pascal Laugier passe avec son nouveau film de l’autre côté du miroir : le côté sombre. D’une barbarie parfois insoutenable, Martyrs, accompagné d’une sulfureuse réputation, s’est vu érigé ces derniers temps en figure de proue d’une lutte contre une censure moraliste et omniprésente en France – et pas seulement au cinéma. Une lutte d’une importance et d’une justification qui ne souffrent pas le moindre doute – mais dont on aurait aimé qu’elle se livre au nom d’un film qui en vaille la peine…
Dans une lettre appelant à manifester contre la classification de Martyrs en tant que film X, le réalisateur Fernando de Azevedo argumente : « Martyrs est un film qui m’a bouleversé comme l’ont fait un certain nombre d’œuvres, de Massacre à la tronçonneuse au récent Ring. La violence que l’on voit dans ce film n’est jamais gratuite, elle sert un propos, elle nous questionne sur la vie, l’esprit, le corps après la mort. » Finalement, le ministère de la Culture aura tranché : interdit aux moins de 16 ans – ce qui laisse au film toute latitude pour être exploité dans un cadre régulier, et non le nombre bien plus restreint de salles que lui eût valu la classification X. C’est une victoire, donc, pour ceux qu’inquiétaient les dérives moralistes du Commission de classification des films en France, au diapason d’un ordre moral de retour dans une France aux relents populistes toujours plus affirmés, depuis les jugements de la ministre de la Culture et de la Communication Christine Albanel sur le jeu vidéo Grand Theft Auto 4 jusqu’à la stigmatisation des consommateurs de tabac et d’alcool. Soit. Une victoire, donc.
Mais que dire maintenant des qualités du film ? Peut-on séparer Martyrs de son aura médiatique ? Évidemment, on le peut – et on le doit. La classification X ne porte pas seulement, contrairement à ce que semble sous-entendre De Azevedo dans sa lettre ouverte (« C’est une honte, j’ai vu ce film, il n’y a aucune scène pornographique !!» (sic)), sur la pornographie d’un film, mais aussi sur sa violence. La Commission a jugé que cette violence ne valait pas un X, mais il est indéniable que la barbarie de Martyrs impressionne.
Lucie est une jeune adolescente perturbée et mutique. Elle s’est échappée, sans que l’on puisse retrouver ses ravisseurs, de l’emprise de tortionnaires qui lui ont fait subir de nombreux sévices – mais aucun sexuel. Placée en hôpital psychiatrique, elle se lie d’amitié avec Anna. Des années plus tard, Lucie décide de se faire justice, ayant retrouvé ses ravisseurs par hasard. Après le massacre de la famille de ces derniers à coups de fusil, Anna et Lucie mettent au jour une situation encore bien plus scabreuse que celle à laquelle elles s’attendaient. C’est le début d’une terrible descente aux enfers…
Martyrs est-il un film de vengeance ? La première partie du film le laisse à penser… Mais, finalement, le fantôme monstrueux d’une victime abandonnée derrière elle pendant sa fuite hante Lucie – jusqu’à devenir très concret. Martyrs, film de monstre, donc ? Aussi. Mais ce n’est pas tout, et la partie suivante du film change encore d’orientation – et est-ce bien pour la dernière fois ? Laugier, au scénario comme à la réalisation, joue avec son spectateur, laisse se développer un récit en trompe-l’œil, mais toujours d’une barbarie insensée. L’on peut aisément tiquer à la vision de Martyrs, et ce même si l’on considère avec un sourire blasé et appréciateur les sévices vus dans Truands ou dans The Devil’s Rejects. Brutalité très premier degré, mais également coups vicelards de cutter dans les chairs, arrachage de clous plantés dans un crâne, mutilations, etc… On assiste, effaré, à un catalogue varié de sévices monstrueux, qui s’accumulent avec régularité, sans rien épargner visuellement.
Finalement, l’excès de barbarie visuellement avéré invalide, comme souvent, la force de telles horreurs, et on en finit par se demander où Laugier veut en venir. L’ennui point, alors que l’on contemple avec lassitude les différentes étapes du martyre subi par nos héroïnes. Et lorsque survient le dernier tour de passe-passe de Laugier, on est en droit de s’interroger : est-ce donc là le dernier retournement de situation ? Est-ce pour cela, finalement, que tant d’horreurs ont été déployées ? Et la réponse survient, affirmative : le final du film est une conclusion grotesque, et idéologiquement douteuse.
Finalement, le véritable débat autour de Martyrs se révèlera linguistique. Le terme de « gratuit », tellement galvaudé lorsqu’il est associé à celui de violence au cinéma, ne suffit pas à qualifier le film – il faut élargir son champ lexical. Après une heure et demie d’atrocités ininterrompues, pour arriver à un final inutile et creux, on ne peut que qualifier la violence de Martyrs de vaine. La violence au cinéma, pour gratuite qu’elle puisse être, appuie toujours un discours, détermine une vision du monde. Celle de Martyrs, n’en déplaise à l’enthousiaste Fernando de Azevedo, n’appuie rien, n’existe pas sinon pour elle-même. Plus systématisée encore que chez Takashi Miike dans ses moments les moins inspirés, la violence déployée par Laugier fait pire encore que le moins talentueux des « torture-porns » récents : elle existe pour rien. Et malheureusement, elle fait en sorte de décrédibiliser le juste combat mené, au nom de la liberté d’expression, pour son exploitation dans les réseaux traditionnels.