Après une encourageante première réalisation (Gone Baby Gone), Ben Affleck revient avec un film policier pas très enthousiasmant, à mi-chemin entre le film choral et la bluette amoureuse. À grand renfort d’emphase musicale, Ben Affleck se perd dans des considérations générales en voulant brasser trop de thèmes déjà abordés moult fois à l’écran : pardon, culpabilité, déterminisme social… sans jamais réussir à déployer l’intensité dramatique nécessaire à ce genre de traitement.
Deux citations viennent ouvrir le film, l’une mettant en exergue la fierté d’appartenir à la communauté du quartier de Charlestown à Boston, l’autre soulignant que ce lieu est également un repaire de braqueurs en tout genre. L’opposition dialectique laisse supposer que le film va prendre le chemin du thriller, du film de braquage pour réussir à disséquer les strates sociales d’un quartier régi par les gangs et le laxisme de la police. Il n’en sera rien, ou si peu, au détour d’un dialogue entre Ben Affleck et une ex-petite amie droguée où il est vaguement fait allusion à une forme de racisme « anti-blanc » dans le quartier. Le reste du film prend la direction d’une opposition somme toute classique, les policiers contre les gangsters, avec un glissement progressif de certains personnages d’un côté ou de l’autre de la barrière. Opposition également entre le personnage de Ben Affleck, calme et réfléchi, et son ami (Jeremy Renner), brute impulsive et sans scrupules. C’est finalement une affaire de morale qui inquiète Ben Affleck : comment montrer qu’il y a parfois du bon chez les gangsters, et du mauvais chez les flics ? Comment s’extirper de ce quartier bouillonnant, de cette vie de braqueurs sans laisser tomber ses potes ? Le propos du film est très consensuel, montrant comment la misère et le désœuvrement produisent de la violence et des inégalités. Le déroulement du récit et ses multiples personnages lorgnent clairement du côté de chez Michael Mann, avec pour modèle Heat. Mais là où la traque, le jeu du chat et de la souris prenait la forme d’un affrontement fondamental pour sa propre survie, Affleck s’enfonce dans une mièvrerie qui ne sied pas à l’âpreté de son sujet et du milieu qu’il dépeint. Il déploie également toute une série de thématiques que n’aurait pas reniées James Gray : déterminisme socio-familial, enchevêtrement des univers de la loi et du crime, quête du héros pour s’extraire du milieu criminel. Les mêmes causes produisent donc les mêmes effets que chez Gray, et développent un point de vue moralisateur et un brin manichéen. La sécheresse et l’urgence qui habitaient la mise en scène de Heat sont ici remplacées par l’emphase, cédant à la mode d’une caméra qui se déplace en tous sens, et de montages clips simplistes et illustratifs. Saupoudré d’une pincée de musique omniprésente et sans caractère, le film avance à une cadence prévisible tandis que se déploient les deux grands arcs du récit.
Le véritable problème se situe ici, dans le développement trop sage des différentes étapes du récit, scindant l’histoire en deux entités qui poussent à étendre les oppositions dialectiques à tous les champs d’action du film. Un premier braquage qui tourne mal force la bande de Ben à prendre la directrice de la banque en otage. Après l’avoir libérée sans encombre, ils s’aperçoivent qu’elle vit à deux pas de chez eux et le doute s’installe. Serait-il possible qu’elle puisse les reconnaître ? En bon samaritain, Affleck se propose pour la surveiller et va finalement développer une relation amoureuse avec elle. Le récit avance donc au rythme de ce double jeu, jouant sur un suspense prévisible : va-t-elle découvrir sa véritable identité ? Va-t-il trahir ses amis ? De plus, le film est empli de lourdeurs qui viennent constamment freiner l’évolution du récit. Exemple : la première véritable rencontre entre les deux amants se fait dans une laverie. Il reste des tâches de sang sur le chemisier de la banquière et le trauma du braquage refait surface. Ben Affleck s’aperçoit alors qu’un braquage, ça peut faire du mal et laisser quelques séquelles psychologiques… Et tout est souligné de la sorte. La violence du meilleur ami est sans cesse rappelée par le biais du dialogue, l’ex-petite amie est une junkie blonde paumée avec un gosse sur les bras, quand la banquière est une belle oie brune et propre sur elle… Resterait-il peut-être alors le plaisir simple de suivre l’affrontement entre une bande de malfrats et des agents du FBI ? Même pas, tant les policiers manquent de charisme et de relief, et les voyous de profondeur. Et nous revenons au point de départ, le serpent se mord la queue : il manque décidément trop de cette promesse initiale d’une description sociologique du quartier de Charlestown pour gagner en finesse psychologique, et réussir à transformer les personnages en autre chose que de simples figures archétypales.