Avis aux amateurs de néo-noirs et de Dennis Lehane (le romancier derrière Mystic River et Shutter Island): contrairement à ce que son titre nocturne laisse présager, Live by Night relève bien plus de la fresque historique façon Il était une fois en Amérique que du film noir hérité d’Assurance sur la mort. Portrait d’une Amérique traumatisée par la guerre, raciste et communautaire, Live by Night s’intéresse à la noirceur de l’âme plutôt qu’à celle de la nuit supposée nourrir les mauvais coups de la pègre. Le film se révèle même lumineux, tant il est baigné de la lumière de Floride, irradié du jeu de ses actrices (Elle Fanning en particulier) et affadi par le flegme de son héros.
L’ouverture laissait pourtant craindre le pire : défilement de photographies d’archives de la guerre de 14 – 18, ancrant, par un discours en voix off, le personnage principal, Joe Coughlin, dans l’esprit d’un vétéran désabusé, gangster à la petite semaine, mais malgré tout amoureux. Le mode de narration et l’architecture d’une partie de l’intrigue autour de la construction d’une entreprise mafieuse dans le Boston des années 1920 raccrochent le film à Casino tandis que le travail sur certains détails (des accents communautaires jusqu’aux dentitions des personnages !) s’avère étonnamment juste dans un contexte où le temps et l’espace défilent rapidement (de Boston à la Floride, du début des années 1920 à la fin de la prohibition en 1933).
Revanche des seconds rôles
Si le glissement progressive de l’intrigue d’un désir de revanche contre un parrain local à une quête de rédemption s’avère assez bien mené, il faut dire que la culpabilité, trope dramatique assez commun, ne fonctionne pas réellement sur Coughlin, personnage romantique dès l’entrée, campé par un Ben Affleck dont le jeu ourson le met déjà en situation de pardon. Le sentiment de culpabilité et la recherche de rédemption fonctionnent en revanche particulièrement bien sur l’ensemble des personnages secondaires, dont les incarnations sont remarquables : le père-flic tiraillé, interprété par Brendan Gleeson, le commissaire incorruptible campé par Chris Cooper, le compère, Chris Messina, jusqu’à certains rôles mineurs, comme celui de l’étonnant Matthew Maher en fanatique dégénéré du KKK. Mais la clef du film est certainement confiée aux jeunes mains d’Elle Fanning, fugace figure d’apprentie actrice déchue, convertie au prêche protestant, dont le destin cristallise les contradictions de l’Amérique. En quelques scènes, sa prestation ambiguë, d’une intensité rare, renvoie Coughlin à ses propres démons et le fait basculer vers une nouvelle forme d’espoir.
L’action de trop
Le film est lesté par quelques mauvais choix de mise en scène, notamment par l’intégration de scènes d’actions, qui, en dépit d’une certaine qualité, tranchent avec le registre tantôt intimiste tantôt historique du drame : une scène de course poursuite entre Cadillac qui réactive assez joyeusement ces figures poussiéreuses, et plus tard, un gun fight en appartement évoquant Scarface. Trop gourmand, Affleck aurait gagné à resserrer son film sur une échelle moins ambitieuse, en se concentrant sur l’exploration des contradictions psychologiques qu’une société à la fois moraliste et désabusée fait naître chez un personnage romantique. Dès lors, en dépit de ses ambitions louables, Live by Night n’a pas le souffle de ses augustes modèles – il n’en demeure pas moins dans l’ensemble plutôt respectable, et ponctuellement tout à fait remarquable.