Après trois longs-métrages racontant des personnages tenus de travailler pour survivre, Alejandro Fernández Almendras — ou « AFA » — s’intéresse cette fois à une strate sociale plus favorisée. Où la situation ne semble pas beaucoup plus enviable, à en juger par ce qui arrive au jeune et insouciant Vicente. Non seulement il est impliqué dans un accident de la route en état d’ivresse, avec délit de fuite, ayant entraîné la mort d’un piéton, mais ses compagnons de fête, enfants de bourgeois comme lui, s’accordent pour le désigner comme le conducteur meurtrier — un mensonge, mais son propre état alcoolisé au moment des faits, et sa naïveté de croire que les trucages de la justice de classe à l’œuvre au Chili ne peuvent pas l’atteindre, fragilisent sévèrement sa défense.
Inspiré d’un scandale judiciaire authentique, produit en partie via le financement participatif à la faveur de la notoriété du projet, bénéficiant du soutien de comédiens connus, Tout va bien ressemble au film de la consécration nationale pour AFA. Il peut aussi donner l’impression de se démarquer de la rigueur esthétique affichée par les autres films du réalisateur, tant il se rend réceptif à ce dont Vicente remplit son existence d’adolescent jusqu’alors sans problèmes : bande-son plus fournie impliquant de jeunes groupes de musique de la scène chilienne d’aujourd’hui, plus de caractère informatif des dialogues, communications textuelles numérique en surimpression. Pourtant, sous ce bonus de moyens et ces variations dans la tenue formelle, on reconnaît le même œil de cinéaste, le même tranchant, la même alerte quand un nouveau personnage entre brusquement dans le cadre (comme si cet autre était une menace potentielle pour l’individu), la même attention à l’humain pris dans la mécanique de l’ordre social, attention aussi respectueuse que critique — d’où une distance qui peut être méprise pour un manque d’empathie, comme ce put être le cas à la sortie de Tuer un homme, son film précédent.
Itérations, altérations
Tout va bien gravite peut-être autour du même sujet de société que cet autre film (la justice de classe), mais c’est plus à Huacho, le premier long-métrage d’AFA, qu’il fait penser. Les deux films décrivent un cycle, un retour à une situation de départ en nous laissant évaluer les permanences et les subtils changements (chez les personnages comme dans notre regard). Seulement, quand Huacho s’ouvre un matin pour se fermer le soir, Tout va bien part d’une scène inaugurale pour s’achever sur sa répétition, alors que quelque chose s’est altéré.
La scène est à la fois anodine et marquante : Vicente, chez lui, se met en branle doucement pour une de ses activités oisives habituelles ; soudain, la domestique de la maison entre dans le champ pour son service, et le film de hausser alors un peu le ton par le biais de la musique, comme si soudain le rapport de classe devenu explicite venait contredire l’innocuité de la scène. La première itération de celle-ci intervient dans une cuisine bien propre, la seconde sur une terrasse jonchée de bouteilles vides où la saleté ne se cache plus. Dans l’intervalle, c’est sans sévérité mais sans complaisance qu’AFA nous fait suivre ce jeune homme, faux coupable d’homicide mais pas vraiment innocent de l’aveuglement social de son milieu, tâchant de se protéger comme il peut de ses responsabilités et de la conscience de l’injustice qui pointe. On est d’autant plus attentif à son humanité, dans sa bonne foi et dans ses failles, au regard du pragmatisme froid et révoltant qui lui fait face : de son oncle avocat au procureur, tous semblent collaborer pour que le système judiciaire fonctionne comme en autorégulation, menant sans faillir à l’issue la moins dommageable aux nantis, système auquel même ceux qui y sont extérieurs finissent par acquiescer. C’est l’indéniable doigté du film qui, pour pointer l’iniquité d’un système, porte un regard aussi attentif aux atermoiements d’un de ses acteurs les plus quelconques, passifs et néanmoins révélateurs.