Vivian Qu est un nom qu’on a déjà vu passer à l’écran cette année : elle est l’heureuse productrice de Black Coal qui, fort d’une distinction à Berlin et d’une campagne de promo savamment menée, a sans nul doute constitué le plus grand succès commercial du cinéma indépendant chinois en France depuis longtemps. Comme Diao Yinan, réalisateur dudit Black Coal, Vivian Qu choisit avec Trap Street, son premier long-métrage, de fouiller les méandres d’une Chine où les villes cachent des secrets, où le réel se pare de voiles et de masques, et où on est mal inspiré de vouloir fouiller trop profondément.
Au pays des masques
En toute logique, la profession du personnage principal du film s’accommode mal de trouble et de fausses perspectives : Li Qiuming est un jeune géomètre, attaché à la vérification des données cartographiques de la ville de Nanjing. Tombé sous le charme d’une mystérieuse jeune femme croisée par hasard, il s’aperçoit que la rue dans laquelle elle lui a échappé n’existe sur aucune carte – nul doute qu’il y a là un secret qu’il vaudrait mieux laisser reposer, mais l’amour n’entend guère les appels à la prudence.
Vivian Qu se focalise sur Lu Yulai, qui a pour lui sa jeunesse, et un idéalisme qui se manifeste via son obsession romantique, mais également une probité certaine. Comme de juste, il en attend autant de ses interlocuteurs et de la société en général. Légataire de la Chine post-Internet, son personnage semble tout prendre au pied de la lettre, ne jamais percevoir les ombres que portent tous ses interlocuteurs : pourtant, il a déjà le pied dans la culture du mensonge et du non-dit, lui qui cache à son père que sa mère lui donne de l’argent en cachette.
Le visage de l’acteur est dans un premier temps filmé franc, ouvert, incapable de duplicité, tandis que les autres acteurs parlent le langage corporel de l’évitement, du louvoiement. Sourires torves, épaules haussées dans une connivence souterraine, regards qui se détournent : comme la fameuse rue fantôme, chacun recèle des profondeurs insoupçonnées, des secrets bien gardés – autant de préludes à une descente aux enfers que le jeune homme ne semble pas vouloir percevoir, et que la caméra de la réalisatrice capte avec une application insistante, tirant le film sur le terrain du documentaire.
Le trou noir
Le propos de Vivian Qu, qu’on retrouve également dans Black Coal, semble être de souligner la duplicité intrinsèque de la société chinoise moderne, prétendument libre, prétendument ouverte, mais toujours à la fois sous la coupe d’un contrôle ferme par les autorités, et surtout sous celle d’une société ultra-hiérarchisée, dont le fonctionnement ancestral nie toute velléité de liberté individuelle. Le propos frappe par son traitement très frontal.
On ne se fait guère d’illusions sur le devenir de ce minuscule Don Quichotte pétri d’optimisme, que les moulins auront beau jeu de jeter face contre terre, et que le film va broyer avec une douce fermeté, illusion après illusion. Pas de climax, pas de flamboiement héroïque ni de sacrifice idéaliste : si on perçoit la machine à détruire bien avant celui qui en est la cible, pas plus que lui on ne peut réagir.
Le plan final du film se fend même d’un insistant regard caméra passant par un miroir, autant destiné à percevoir ce qui se trouve par-delà celui-ci, qu’à interroger directement l’auditoire. « Pensez-vous être plus libres ? », semble-t-on nous dire. Une question qu’il est, sans nul doute, pertinent de poser mais qui réclame, aujourd’hui, un traitement plus profond. Le cinéma indépendant chinois s’y attèle déjà avec plus ou moins de force, d’efficacité : si Black Coal emprunte le chemin labyrinthique du lyrisme, des circonvolutions du polar, Trap Street se distingue finalement par son approche frontale, dépouillée. De ce fait, si le premier semble se perdre, l’autre finit par sembler un rien naïf et volontariste.