Nicole Garcia serait une femme qui comprend les hommes : c’est ce qu’elle a essayé, en vain, de nous faire croire avec Selon Charlie (2006). La réalisatrice s’attache à nouveau aux méandres de la psychologie de l’autre genre, en composant le portrait d’un homme aux prises avec la complexité d’une mémoire trompeuse et trompée. Mais Un balcon sur la mer ne parvient pas davantage à convaincre. Le film s’égare entre passé et présent, mêlant quête introspective, drame amoureux et thriller financier, avec une hésitation stylistique troublante.
Dans la torpeur méridionale, Marc Palestro mène une vie aussi confortable qu’insipide : marié, un enfant, une belle maison, un travail d’agent immobilier spécialisé en biens d’exception. Une vie lisse et nette comme son costume sur mesure bientôt chiffonné par une acheteuse au style « femme fatale ». En elle, Marc pense avoir reconnu Cathy, son amour d’enfance dans une Algérie en guerre, qu’il n’avait jamais revu depuis que la famille de la jeune fille avait quitté Oran. Mais après une nuit de passion, elle disparaît à nouveau. En évoquant avec sa mère ses souvenirs flous de leur passé algérien, Marc commence à douter de l’identité de sa conquête éphémère. Obsédé et bouleversé par cette rencontre, il va chercher à la retrouver et à savoir qui elle est vraiment. De Nice à Oran, cette enquête va le conduire sur la voie d’une quête introspective pour raviver sa mémoire défaillante. S’il reconstitue un passé tourmenté, entre nostalgie et douleur, Marc lève aussi le voile sur un présent trompeur, en découvrant la dualité de son entourage professionnel.
C’était pourtant plutôt bien parti : une ouverture onirique sur la ville d’Oran à une époque incertaine, un Jean Dujardin tout en retenue, une Marie-Josée Croze mutique et fuyante, une maison dans le sud de la France trop paisible pour être apaisante… Mais rapidement, la sophistication froide de la mise en scène crée la distance avec ces personnages que l’on va accompagner sans allant. Dès la première apparition de la soi-disant Cathy, tout nous indique la fausseté de son identité et la dualité de ses intentions. Une chevelure trop blonde, des lèvres trop rouges, un regard trop envoûtant, un langage trop elliptique. Trop belle pour être vraie… Le personnage interprété par Marie-Josée Croze est construit comme une icône, sublimée par le regard d’un homme habité par un souvenir d’enfance. Avec cette réminiscence de blonde hitchcokienne aux visages multiples, objet d’un regard masculin fétichisant, Un balcon sur la mer suit sur les traces de Vertigo, sans en avoir la richesse narrative et la rigueur esthétique. La première partie du film travaille une atmosphère angoissante et un sentiment d’égarement en jouant aussi sur des touches de style lynchien. Ainsi quand Marc, accompagné de Cathy, perd le contrôle de son véhicule sur une route de campagne, sa mystérieuse maîtresse semble disparaître soudainement dans l’obscurité profonde d’une nuit sans lune, avant de réapparaître, sensuelle et spectrale, plus figée que jamais. La construction d’un personnage féminin condamné à jouer le rôle d’une autre, aussi bien dans ses relations personnelles que professionnelles, a incité Nicole Garcia à travailler une sophistication stylistique menant sur la fausse piste d’un thriller fantastique. Elle crée une attente jamais assouvie : celle d’une révélation fracassante, celle d’une obsession confinant à la violence ou celle d’une vengeance froidement préparée… Mais la réalité sera bien plus simple et les rebondissements peu nombreux et prévisibles.
On ressent ensuite une certaine lassitude du haut de ce balcon sur la mer, porte ouverte sur un gouffre. Dans un récit à tiroirs vides, la découverte d’une malversation financière, traitée à la va-vite, vient brouiller les cartes et allonger sans nécessité la durée du film. Mais, pour nous faire comprendre que le sujet d’Un balcon sur la mer, c’est avant tout la quête de sens d’un homme en pleine crise de milieu de vie, on nous montre régulièrement en plan large la piscine de la maison familiale. Jamais utilisée, progressivement couverte de feuilles mortes, sa surface stagnante et sa lisseur illusoire sont à l’image de l’esprit embrouillé de Marc et du délitement d’un présent qu’il abandonne pour plonger à corps perdu dans une aventure passionnelle. Articulé sur un discours pseudo-psychologisant, le parcours masculin passe par le sacrifice d’une famille reléguée sans état d’âme au rôle de figuration accessoire. Mais Un balcon sur la mer s’attache aussi à reconstruire le regard d’un pied-noir sur la guerre d’Algérie (comme celui du scénariste Jacques Fieschi et de la réalisatrice Nicole Garcia, tous deux nés à Oran). Ressurgissant par bribes, reconfigurés au fil des rencontres, les souvenirs de Marc Palestro sur cette période troublée viennent donner au film une épaisseur qui ne se transforme pas en réelle profondeur. Filmée à hauteur d’enfant, la mémoire d’Oran 1962 est empreinte d’une douce naïveté. Le drame pourtant certain de cette ville en guerre, où Algériens et Français vivaient séparés, sous la menace d’une violence permanente, demeure presque hors champ. Il s’exprime avant tout dans le ton confidentiel employé par ceux qui se souviennent (Marie-Jeanne et la mère de Marc) pour évoquer aujourd’hui cette période révolue.
À vouloir dire trop de choses, à vouloir aborder trop de sujets différents dans un même film, Nicole Garcia ne dit finalement pas grand-chose sur quoi que ce soit. Un balcon sur la mer laisse un sentiment de vide. La dernière phrase du film résume bien son hésitation permanente, aussi bien en termes de contenu du récit qu’en termes de style : « Je me suis perdu…» Nous aussi.