Quatre ans après le décevant Adversaire, d’après le très beau livre d’Emmanuel Carrère, Nicole Garcia relève un nouveau défi : raconter l’histoire de sept hommes malmenés par l’existence… en 1h55 ! Raté de bout en bout, Selon Charlie a fait l’erreur de tout miser sur son prestigieux casting. Le scénario, lui, collectionne les poncifs et accumule les tirades tout droit sorties du magazine Psychologies.
Polémique : le cinquième film de Nicole Garcia dont la sortie était initialement prévue pour le mois de février ne sort finalement qu’en cette fin août. La raison ? Après de nombreuses tractations, le film réussit à s’imposer en compétition officielle du festival de Cannes. Un choix stratégique qui devait permettre à Selon Charlie de bénéficier d’une couverture médiatique à moindre effort. Erreur d’appréciation de la part des distributeurs qui ne s’attendaient certainement pas à un accueil aussi glacial de la part des festivaliers, pour la plupart offusqués de la présence du film dans la plus prestigieuse des catégories. Résultat : Selon Charlie fut raccourci d’une bonne vingtaine de minutes pour son exploitation en salles. Accordons le bénéfice du doute à la réalisatrice : peut-être que la version présentée au festival (que nous n’avons malheureusement pas vue) était pourvue des quelques qualités qui manquent cruellement ici. Pour un projet aussi casse-gueule que celui-ci (dresser le portrait de sept hommes très différents à un tournant de leur existence), nul ne doute que les vingt minutes manquantes n’auraient pas été superflues pour donner un peu de consistance à chacun de ces portraits. Mais le doute a ses limites : Selon Charlie n’a rien de ces films imparfaits où l’intensité du propos ferait oublier les faiblesses de forme. Ici, comme à l’accoutumée dans la quasi-totalité des films de Nicole Garcia, tout est très éthéré, pollué par un discours psychanalysant très mécanique qui cherche à marquer une sorte de supériorité intellectuelle pour se donner un vague crédit.
Mais difficile de s’y tromper tant Selon Charlie ressemble à un collage maladroit de plusieurs courts métrages, sans grand intérêt, finalement. Matthieu (Patrick Pineau) est un éminent archéologue venu assurer un colloque dans une petite ville de bord de mer. Il est accueilli par un maire cynique sans étiquette politique (Jean-Pierre Bacri dans un rôle que l’on croirait écrit par Agnès Jaoui). Mais au fond, Matthieu n’a pas choisi cette ville par hasard car il sait que Pierre (Benoît Magimel), autrefois son partenaire de recherche (et peut-être pas que de recherche, mais le film n’en dira pas plus), s’est depuis réfugié dans l’Éducation Nationale où il assure le rôle de professeur de Sciences de la Vie et de la Terre. Mais Pierre va traverser une grave crise conjugale : il ne sait pas encore que sa femme le trompe avec Serge (Vincent Lindon, étonnamment absent), le père de Charlie, jeune garçon taciturne, dont il est également le professeur. Mais le pauvre Serge souffre aussi parce que sa femme n’arrête pas de le harceler pour qu’il monte enfin ce satané barbecue. Alors, pour se défouler, il défonce la voiture d’un chauffard cagoulé (Benoît Poelvoorde) qui, après avoir raté un coup qui a coûté la vie à une vieille femme, se raconte au maire de la ville (toujours Jean-Pierre Bacri). La boucle serait presque bouclée s’il n’y avait pas Adrien (Arnaud Valois), un jeune joueur de tennis qui n’a plus confiance en lui et qui fait une terrible chute après avoir testé ses propres limites. Le point de ralliement de ces six destinées sera donc Charlie, un jeune garçon aux grands yeux mélancoliques (forcément), qui assiste à cette valse des sentiments sans sourciller, en grand philosophe.
Le film mosaïque n’est pas forcément prédestiné à l’échec. Edward Yang avait su relever le défi avec son magistral Yi-Yi, chronique familiale dense, complexe, mais à la fois d’une terrible limpidité. Nicole Garcia n’a manifestement pas le talent du réalisateur taïwanais. Elle se borne malheureusement à un collage où Charlie sert de prétexte, de pont bancal entre ces petites histoires pas passionnantes pour un sou et qui ont pourtant la prétention de parler de l’Homme avec un grand H. Là où Yi-Yi réussit l’exploit d’être un film inter-générationnel, capable de s’adresser autant aux hommes qu’aux femmes, Selon Charlie est exclusivement un film de mâles où l’on apprend que derrière un corps solide et robuste se cache finalement une grande fragilité. Et pour servir cette révélation bouleversante, Nicole Garcia, qui crie haut et fort qu’elle aime les acteurs (surtout lorsqu’ils sont connus), s’est entourée de comédiens particulièrement investis dans l’intensité de leur rôle. Et l’on sent perpétuellement cette application très scolaire, notamment celle de Benoît Magimel (pas franchement crédible en enseignant pédagogue) qui déclare : « Tout le film, j’ai eu envie de jouer l’état de doute. Une fois que j’ai atteint ce sentiment intime, je l’ai chéri. J’allais du set à ma loge, en silence, de peur qu’il m’échappe. » Peut-être que Nicole Garcia aurait dû en faire autant.