Après Il est plus facile pour un chameau (2003) et Actrices (2007), Un château en Italie constitue le troisième film de Valéria Bruni-Tedeschi derrière la caméra. Le film est reparti de Cannes les mains vides et, cette fois, nous ne nous en plaindrons pas.
Une question de classe ?
Un château en Italie est une variation sur le thème de la fin de règne – épuisement de la lignée, dissémination du patrimoine, inadaptation sociale, désarroi et pathologies. Tout cela concerne évidemment plutôt les aristocrates ou les grands bourgeois : plus c’est gros, plus ça fait plus de bruit quand ça tombe. La fin de règne est d’abord un fait de classe. Cela ne lui ôte pas toute portée universelle : elle peut être un symbole, une caisse de résonance, révéler par le grand ce qui arrive partout en petit. On sait les leçons qu’ont pu en tirer écrivains (Tchekhov, Thomas Mann, Huysmans, Moravia…) et cinéastes (Visconti, Welles, Losey, pour ne citer qu’eux), sur un mode romantique ou fin de siècle. Un château en Italie en serait plutôt une version « Paris au vingt-et-unième siècle », parodique et narcissique.
Valéria Bruni-Tedeschi propose une interprétation tragi-comique de la déliquescence d’une famille de la grande bourgeoisie italienne : le deuil d’un train de vie et d’un patrimoine, la maladie, l’absence de descendance. Mais loin de dépasser le fait de classe, d’en dégager un noyau universel, et de stimuler une empathie qui n’est pas acquise a priori, Un château en Italie produit une pénible expérience de distance et même d’hostilité envers ses personnages. L’irresponsabilité et l’extravagance sensées les rendre sympathiques – les superstitions de Louise (Valéria Bruni-Tedeschi), les pitreries de son frère Ludovic (Filippo Timi), leurs enfantillages et ricanements à répétition – apparaissent tantôt grotesques, tantôt carrément indécents – voir par exemple le fou rire lors de la séquence avec le conseiller fiscal.
Limites de l’auto-dérision
Mais n’est-ce pas après tout aussi un film à charge ? Sinon une critique culturelle ou sociale, du moins une satire pleine de dérision ? La dérision, ou plutôt l’auto-dérision (car la famille en question, ce n’est pas un secret, est inspirée de celle de la réalisatrice), c’est bien là le problème. C’est se moquer gentiment de soi, et affecter une lucidité qui ne prête jamais à conséquence : Louise fait n’importe quoi… mais elle est si attachante ! Au fond elle est paumée, comme tout le monde ! Le rire, avec la complicité du public, est censé opérer comme une grâce : il rend sympathique la bêtise, annule les torts et rachète les fautes à l’instant où ils sont montrés.
Bruni-Tedeschi entend certes saisir des ridicules. Elle a d’ailleurs son bouffon, celui qui peut tout dire (Serge, le seul personnage intéressant, interprété par Xavier Beauvois). Mais en faisant constamment le choix de l’improbable et de l’excès, l’invraisemblance psychologique tenant lieu de « grain de folie », elle neutralise le questionnement éthique ou critique en échange de quelques sourires. Cette invraisemblance, accompagnée du « je ne suis pas dupe » de l’auto-dérision, conduit au refus de tout jugement et à l’équivoque généralisée. C’est bien commode puisque cela évite la responsabilité.
En ce point toutefois, Un château en Italie est peut-être plein de vérité. Non par le regard et les jugements dont le film serait le véhicule – l’auteur rejetterait d’ailleurs probablement l’idée même de vérité, et donc la possibilité de juger – mais en tant qu’expression d’un esprit du temps. On peut en effet se demander si la recherche et la jouissance de l’équivoque ne constituent pas un trait caractéristique d’une bonne partie du « monde de la culture » et de la « bourgeoisie cultivée ».
L’acteur, encore et encore
S’il y a une forme de vie qui se meut dans l’équivoque, c’est bien celle de l’acteur, à qui il est demandé d’être et de ne pas être. On ne s’étonnera donc pas que la « question de l’acteur » s’invite dans Un château en Italie. En soi, elle est d’autant plus légitime qu’elle se pose à chacun à un certain degré. Mais il n’est pas évident que ce soit au cinéma d’y répondre, ou du moins pas directement. Ici, sans surprise, nous nous retrouvons pour une énième fois victimes de cette croyance bien établie (et qui empoisonne une partie de l’art contemporain) que la mise en abyme suffit à faire penser. Lorsque Valéria Bruni-Tedeschi et Louis Garrel se rencontrent, ils jouent à la fois leur personnage et leur propre rôle : Louis (qui doit commencer à se lasser de ce genre de jeu) reconnaît Louise – à moins que Nathan ne reconnaisse Valéria ? Les mystères de la réflexivité ne sont jamais aussi intéressants que lorsqu’ils permettent de jouir de soi.