Quand Valéria Bruni-Tedeschi ne se penche pas sur ses problèmes de famille, elle s’attaque à son beau métier d’actrice et elle réussit avec force et humour le portrait de ce qu’elle est visiblement, une quadragénaire turlupinée par le désir d’enfant et de couple, et obsédée par ses propres sensations professionnelles et personnelles. Le seul souci est que, toute intelligente et drôle qu’elle est, V. Bruni-Tedeschi ne prend pas souvent le temps de filmer autre chose qu’elle. Et paraît ainsi un peu limitée.
Actrice chez Noémie Lvovsky, notamment dans le récent Faut que ça danse !, co-scénariste de Noémie Lvovsky sur son propre film, Valéria Bruni-Tedeschi développe la même folie bourgeoise douce, légèrement timbrée et assez agréable à regarder il faut bien l’avouer. Dans son premier film, Il est plus facile pour un chameau…, l’aînée des sœurs Bruni racontait l’histoire d’une femme trop riche pour être heureuse. Dans Actrices, c’est la sensibilité du personnage de Valéria qui déborde, qui l’empêche de travailler, de se construire une vie de couple et de femme. Marcelline (V. Bruni-Tedeschi) vogue d’homme en homme, de rôle en rôle, et de crise en crise. Elle va jouer Nathalia Petrovna dans Un mois à la campagne de Tourgueniev et ne peut faire autrement que de s’identifier à elle, femme mariée amoureuse d’un jeune précepteur. Toujours mystique et superstitieuse ‑elle va dans les églises, elle refuse de porter du vert‑, Marcelline fait un vœu devant la Vierge : « Donnez-moi un mari, et je renoncerai à la gloire et aux honneurs. »
Très littéraire, Actrices joue sur deux cordes toujours sensibles : d’une part, l’idée du centre, de l’égo de sa réalisatrice et, d’autre part, l’idée de galerie. Pour le centre, on retrouve la charmante et déjantée Valéria Bruni-Tedeschi. Toujours entre hystérie maîtrisée et comique aussi visuel qu’intellectuel, elle fait désormais partie de ces comédiennes qui forge une certaine identité du cinéma français. Depuis le film de Laurence Ferreira Barbosa, Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, elle n’a jamais renié sa volonté de participer à un cinéma exigeant, notamment dans l’écriture. Pour la galerie, Actrices a quand même de quoi faire rougir les laudateurs de L’Auberge rouge et autres navets de fin d’année : au premier rang, deux seconds rôles particulièrement réussis interprétés par Mathieu Amalric et Noémie Lvovsky. Lui est le metteur en scène de la pièce de Tourgueniev, Denis, tiraillé entre l’ego de Marcelline qu’il admire et son propre égo de créateur ; Nathalie est l’assistance de Denis, actrice ratée, frustrée de voire son ancienne amie de Conservatoire (Marcelline) être devenue la figure artistique qu’elle ne sera jamais. Nathalie, mariée et mère, est amoureuse de Denis, qui ne voit que Marcelline : une scène extraordinairement drôle montrera Denis attaché par Nathalie à un banc.
Le seul problème de ce genre de film à tiroirs est qu’il faut laisser exister les tiroirs autrement qu’en tant que respiration : effectivement, Mathieu Amalric, Noémie Lvovsky et Louis Garrel (avec sa fraîcheur faussement indolente, sa maturité faussement romantique, son talent en somme) offrent quelques moments savoureux. Mais ces saynètes n’apparaissent que ponctuellement, clairement placées entre deux « shows » de la réalisatrice. Si les multiples talents de cette dernière ne sont pas contestables, on a l’étrange sensation devant Actrices de voir Valéria Bruni-Tedeschi briller également dans le ramener à soi. La problématique du film n’est donc pas tellement les problèmes que pose un métier, un âge ou une condition sociale, mais bien les problèmes de Valéria. Valéria joue, Valéria veut un enfant, Valéria a ses moments de folie, Valéria fait sa psychanalyse, Valéria, Valéria, Valéria… pourquoi non ? Mais le spectateur est sans cesse à l’extérieur du film, incapable d’entrer dans un univers bien campé mais beaucoup trop narcissique pour ressembler jamais à une tentative de communication cinématographique.
Valéria s’offre finalement le rôle qu’elle préfère : elle-même. Dans son obsession, sa caméra paraît fuir l’autre. Avec son interprétation et sa plume, il semble que Valéria Bruni-Tedeschi ne parvienne pas toujours à faire de son film autre chose qu’un objet purement personnel, et donc difficilement voué au partage. Et c’est dommage, parce qu’on l’aime quand même.