Adapté d’une pièce de théâtre de Tracy Letts (Prix Pulitzer 2008), Un été à Osage County se propose d’analyser les relations conflictuelles du clan Weston à l’occasion du décès du patriarche. Huis clos oppressant, dégénérescence du modèle familial, hystérie communicative, les obsessions du dramaturge (à qui l’on doit Killer Joe et Bug mis en scène au cinéma par Friedkin) sont bien au menu mais le style littéraire aussi brillant soit-il n’est rien sans une mise en scène digne de ce nom. Là où William Friedkin sublimait le texte et les enjeux, en équilibre entre la farce et la tragédie, John Wells ne retient que le vernis mélo, poussif et sans nuance.
Famille, je vous hais
Le terreau familial, riche en non-dits, mensonges, haine larvée et amour indicible, représente un champ d’investigation protéiforme pour un cinéaste. Les personnages, chacun empêtré dans sa vérité et ses traumas, et les interactions entre chaque protagoniste sont autant de pistes à suivre, à défricher, à déchiffrer. À la mort du pater familias Beverly Weston (Sam Shepard), la fratrie éclatée retrouve le chemin du bercail : Barbara l’aînée des sœurs, accompagnée de son époux dont elle est séparée (Julia Roberts et Ewan McGregor), Karen (Juliette Lewis), la cadette biberonnée aux contes de fées qui pense avoir trouvé son prince charmant en la personne d’un multi-divorcé (Dermot Mulroney) et Ivy la discrète (Julianne Nicholson), la seule à être restée dans le giron géographique des parents. Tandis qu’apparaissent les névroses, à des degrés divers, des trois frangines, on découvre la source de leurs tourments en la personne de leur mère, Violet (Meryl Streep). Atteinte d’un cancer (ce qui offre quelques saillies capillaires à la transformiste Streep), addict aux médicaments, Violet est le diable fait femme. À peine le cercueil enseveli, les vieilles tensions refont surface, amenant leur lot de révélations fracassantes.
À table
Sans spoiler ces fameuses révélations, on peut sans crainte affirmer qu’elles seraient de bon ton dans la saga Les Feux de l’amour, tant elles semblent tirées par les cheveux. Car l’écriture de Letts, Friedkin l’a bien compris, s’enracine dans une tradition dramatique où la tragédie côtoie la farce et le grotesque. L’outrance des situations, l’hystérisation généralisée des échanges (quasi uniquement féminins, conservant là l’étymologie du terme) nécessitent une mise en scène distanciée de son sujet. Observer les personnages comme des fourmis en plein combat, sans compassion ni jugement. Et c’est dans ce recul indispensable que John Wells pèche. Structurant les confrontations familiales autour de scènes de repas (choix symbolique trop peu exploité), le réalisateur colle à ses héroïnes, adoptant successivement leur point de vue. Croyant sans doute que la surenchère émotionnelle suffira à capter l’attention du public (et celle des votants pour les oscars), Wells oublie la distance de sécurité sans laquelle le flot de cris et de larmes agace plus qu’il ne touche. Si on aperçoit alors en filigrane les blessures subies par chacune, l’amoncèlement de ces traumatismes submerge le spectateur, incapable de s’émouvoir dix fois en trois minutes. Renforcée par la logorrhée surexcitée de Meryl Streep et Julia Roberts, en roue libre, l’impression de noyade cinématographique prend le pas sur la tragique histoire de cette famille à la dérive. Seule Juliette Lewis tire son épingle du jeu. Son jeu, entre excessive bonne humeur et candeur, en total décalage avec sa filmographie (actrice plus habituée aux rôles sombres), ajoute la touche tragi-comique. La nuance plutôt que l’outrance, en somme.