La nouvelle a déjà fait le bonheur de Michel Drucker : Jean-Paul Belmondo revient au cinéma pour un remake d’Umberto D. (De Sica, 1952), signé Francis Huster. Disons-le sans détour, et en l’absence de tout suspense, cette resucée lénifiante froisse autant la mémoire de Vittorio De Sica que celle de Bébel. Si une forme de sincérité un peu béate ne semble pas manquer à Francis Huster, on ne peut que constater avec dépit l’absence totale d’un quelconque talent de mise en scène. C’est plutôt grâce au mythe Belmondo que le film tire l’un de ses maigres intérêts : le parallélisme est saisissant entre le caractère piteux du film et la fin en roue crevée d’un acteur qui aura symbolisé avec opportunisme le cinéma et la société giscardienne.
De l’original, Francis Huster garde la trajectoire : un homme, plutôt respectable, s’abîme dans le puits sans fond de la vieillesse, de la misère et de la solitude. Accompagné de son chien et abandonné de tous, Charles (Belmondo) essaie de survivre dans la rue. De l’original, Francis Huster élague la noirceur bouleversante et la subvertit en guimauve pour dentiers. En somme, tout semble à proscrire et à oublier dans cet agglomérat sentimentaliste : de la fausse bonne idée esthétique – instaurer des climats de couleurs différents selon l’état d’esprit de Charles – au découpage linéaire et approximatif. Le thème musical de Philippe Rombi est massacré tant il est utilisé de façon grossière et surlignante, tandis que l’avalanche de personnalités qui jonchent le film (Jean Dujardin, José Garcia, Charles Aznavour, Daniel Prévost etc.) rappelle la fâcheuse tendance du cinéma populaire français à valoriser la quantité et la surabondance-gadget (en point d’orgue de cette obscénité, le banquet final d’Astérix aux Jeux Olympiques semble cependant inégalable).
Tocs et vieilles ficelles ont remplacé sans honte dignité et sensibilité du film original : la sentence pour Un homme et son chien est irréversible. S’il n’est pas question de parler plus encore du film en lui-même, la représentation nouvelle du monstre Belmondo que met en avant le film est peut-être significative de l’état déliquescent d’une frange de l’industrie culturelle française.
À l’enchevêtrement des années 1950 et 60, Belmondo est l’indocile voyou des films de Godard et de Sautet (Classe tous risques, 1960), il incarne la gouaille frondeuse qui rue dans les brancards du conventionnalisme gaulliste. Héros du chaos et de l’indécision adolescente, Belmondo va se muer petit à petit en dépositaire de l’ordre et de l’autorité (Peur sur la ville en 1975 et Flic ou voyou en 1979). Une véritable révolution copernicienne s’opère, main dans la main avec une spectaculaire conformation aux règles et lois du show-business. Du petit rebelle sans cause, Belmondo devient l’archétype d’un rôle : celui du séduisant et insolent casse-cou en symbiose avec la libéralisation des mœurs mais aussi et surtout en adéquation avec le nouvel ordre économique giscardien. Belmondo choisit ses films en producteur (il a sa propre société, Cerito Films), et mène sa carrière selon les recettes les plus éprouvées (les films de Lautner et Verneuil en tête), devenant ainsi un produit à exploiter dans la plus pure tradition marchande. Intervenant à tout niveau des projets qu’il produit, Belmondo se façonne un personnage immuable qui recueille inévitablement la faveur des foules jusqu’au milieu des années 1980, date à laquelle le modèle façonné durant une décennie finit par lasser. Il ne s’en relèvera pas et, à l’instar du yaourt et de sa date de péremption, termine sa course commerciale à la poubelle, à peine ressuscité par quelques succès théâtraux et l’assistance respiratoire prodiguée par Claude Lelouch (Les Misérables en 1995).
En écartant le navrant Une chance sur deux de Patrice Leconte et Peut-être de Cédric Klapisch, la fin des années 1990 et les années 2000 sont éprouvantes pour Belmondo, entre soucis de santé et fuite du succès populaire. Un homme et son chien est censé, selon les dires d’Huster, réparer cette injustice et offrir à l’acteur un (dernier?) grand rôle. À défaut, il lui donne l’opportunité de représenter à son corps défendant les tares qui rongent le cinéma populaire français contemporain. Après le voyou rebelle, le policier gardien de l’ordre et l’aventurier insolent, Belmondo est le grabataire pontifiant et gâteux. Comme une métaphore de l’aptitude du cinéma populaire actuel à ressusciter ad vitam les mêmes formules hors d’usages en se complaisant dans les itérations médiocres et surannées. Belmondo méritait sans doute mieux comme sortie, on ne peut nier son charisme et sa faconde caractéristiques. Mais tel un boomerang, son personnage se révèle être une nouvelle fois le symbole d’un cinéma qu’il a lui-même contribué à fonder : celui qui nie et refoule sa propre capacité à être plus qu’un produit consommable et périssable.