Trois ans après l’incroyable succès du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain en France (9 millions d’entrées et une pluie de récompenses), en Allemagne (près de 3 millions d’entrées), aux États-Unis (sélection aux Oscars dans plusieurs catégories), ou encore au Japon, Jean-Pierre Jeunet retrouve Audrey Tautou dans son nouveau long-métrage, Un long dimanche de fiançailles.
Même si le public avait largement plébiscité Amélie Poulain, force est de reconnaître que cette nouvelle production avait de quoi nous laisser des plus sceptiques quant à la juste représentation de l’abominable guerre des tranchées que fut 14 – 18. La campagne publicitaire orchestrée plusieurs semaines avant la sortie du film avait d’ailleurs tendance à corroborer nos craintes, tant la tentation passéiste de son précédent film était largement relayée par le choix d’une photographie empêtrée dans le cliché vieille France, couleur jaunie et destins rocambolesques à la clé. Finalement, si le film joue trop souvent la carte d’un romantisme pour le moins édifiant dont la guerre elle-même est vulgairement utilisée comme contrepoint, le réalisateur parvient à faire exister une multitude de personnages au-delà de l’instantané, de la prostituée vengeresse admirablement interprétée par Marion Cotillard aux divers appelés que le destin n’a pas su épargner.
Mais surtout, le dernier produit de Jean-Pierre Jeunet délaisse partiellement ce positivisme agaçant qui faisait la marque de fabrique de son précédent film, et peut enfin assumer les possibles d’une histoire tragique où l’obstination du personnage principal le confine à la solitude la plus totale et ce, jusqu’au dernier plan. Ce faux happy-end révèle d’ailleurs les contradictions et l’invraisemblance d’une quête restée vaine en un sens. Si le film tient essentiellement à l’obstination de Mathilde, déterminée depuis le début à retrouver la trace vivante de son jeune fiancé pourtant reconnu mort au front par l’armée française, il refuse sa célébration, laissant cette marge d’ambiguïté qui, toujours dans son précédent film, faisait cruellement défaut. La dernière scène du film fonctionne en trompe-l’œil car son étrange retenue contredit nos attentes de spectateur puéril, refusant à Mathilde l’inscription de ses fantasmes et de son attente dans la réalité de ses retrouvailles. La déception qui en résulte n’en est que plus salutaire, désamorçant ainsi non moins sans habileté l’enjeu initial du scénario, replongeant la jeune héroïne dans la banalité du quotidien, ce que sa quête désespérée lui avait permis de contourner jusqu’ici. En cela, Un long dimanche de fiançailles n’est pas une nouvelle variante d’Amélie Poulain car le propos, implacablement inscrit dans une époque définie à tout jamais par les événements historiques, révèle l’impossibilité de Mathilde à accéder à la plénitude. Aussi égoïste soit sa détermination, elle ne pourra plus jamais occulter les réminiscences d’une guerre atroce dont la justification, jamais rappelée dans le film, dépasse les intérêts de chacun.
En cela, donc, Un long dimanche de fiançailles, toute proportion gardée, crée la surprise. Mais l’ambition finale du film n’en semble pas moins malhonnête, tant la course aux prix (notamment lors de la prochaine édition des Oscars) semble avoir motivé cette considérable débauche de moyens. Financé à hauteur de 45 millions d’euros, ce long-métrage fait par ailleurs l’objet d’une grande controverse en France car Warner, qui assume l’ensemble des dépenses liées au film, a créé une filiale française afin de bénéficier des aides du CNC, privant ainsi le cinéma national, de quelque 3 millions d’euros, soit le budget total moyen d’une production hexagonale, de quoi douter un peu plus chaque fois des aspirations du cinéaste.