La déportation, sujet difficile et très casse-gueule, a pourtant inspiré bon nombre de cinéastes. Mais Un secret, adaptation du roman autobiographique de Philippe Grimbert, montre comment cette sombre partie de l’histoire est souvent prétexte à produire de l’émotion facile. Il y a donc de quoi rester circonspect devant ce nouveau projet de Miller où surnagent quelques seconds rôles tels que Ludivine Sagnier et Nathalie Boutefeu.
Été 1955, François est un jeune garçon chétif qui ne fait pas vraiment l’admiration de ses parents. Entre son père Maxime (Patrick Bruel) qui le rêverait plus casse-cou, et sa mère Tania (Cécile de France), championne de natation et top-model à ses heures perdues, l’enfant incarne une sorte d’échec qui le complexe naturellement au plus haut point. Fils unique, il se rêve un frère idéal à l’opposé de lui-même, capable de susciter l’admiration de tous ceux qu’il déçoit par sa gaucherie permanente. Mais le mal-être de cet enfant est en fait le résultat d’un lourd héritage familial, d’un secret trop bien gardé pour ne pas être deviné dès les premières minutes de film. Les indices pleuvent : son père a modifié son nom pour cacher ses origines juives, sa mère ne semble toujours pas avoir trouvé sa place auprès de sa belle-famille, un vieille peluche malencontreusement retrouvée au grenier réveille de pénibles souvenirs. Perturbé par la somme de ces non-dits, le jeune garçon multiplie les cauchemars en attendant que Louise, sa voisine bienveillante (Julie Depardieu), lui raconte quelques années plus tard l’histoire de sa famille et les événements survenus pendant l’Occupation.
On découvre alors une histoire qui aurait pu être terrible : celle d’une famille décimée, de gens aimés trop vite disparus, de vides impossible à remplir pour tous ceux qui ont survécu. L’intention de Claude Miller n’est heureusement pas de faire un film historique. Tout au plus se contente-t-il de premières pages de journaux pour nous donner des repères chronologiques (la rencontre entre Hitler et Mussolini, le début des combats). Son choix est de s’en tenir exclusivement au parcours d’une famille qui s’est confrontée au pire et qui s’est recomposée tant bien que mal par la suite. Mais parce que Claude Miller savait d’entrée qu’un tel sujet susciterait une vive émotion parmi les spectateurs, Un secret est plus qu’un ratage presque total, c’est un projet déplacé qui brade le devoir de mémoire pour construire une fiction de bas étage. Outre l’absence de réflexion terrible sur la question de la culpabilité – la faute à des dialogues d’une pauvreté affligeante – et à la faiblesse générale de l’interprétation (Cécile de France est totalement lisse, Patrick Bruel confirme qu’il est bel et bien un très mauvais acteur), le réalisateur a surtout l’indécence d’entrecouper son film d’images et de photos d’archives sur les camps de la mort. Ce choix est d’autant plus choquant qu’il n’encourage que l’émotion immédiate, privant à un tel point ce Secret de toute portée qu’on en est presque honteux de trouver tout cela si anodin.
Restent deux seconds rôles portés par deux actrices capables d’injecter ce petit plus et de dépasser les simples attentes du metteur en scène. D’une part, Nathalie Boutefeu, en belle-sœur emportée qui refuse de faire avec, mais surtout Ludivine Sagnier qui hérite du rôle le plus subtilement ambigu, capable de donner vie à plusieurs sentiments dans un même plan. Pour Claude Miller, le constat est en revanche terrible. Après une série de grands films (La Meilleure Façon de marcher, Dites-lui que je l’aime, Garde à vue, L’Effrontée, La Petite Voleuse), l’ancien assistant de François Truffaut n’a manifestement plus rien à dire depuis près de quinze ans (si l’on excepte la relative réussite de La Chambre des magiciennes) et n’a plus que pour seule ambition de se vautrer dans un cinéma de convention qui n’hésite pas à s’emparer de sujets douloureux sous le seul prétexte de se donner une légitimité.