Après un premier épisode honorable sorti en 2003, et une suite de sequels aux airs de dégringolade, on croyait sincèrement qu’une quadrilogie suffirait aux ambitions des producteurs d’Underworld. Que nenni ! Aussi immortelle que ses protagonistes, la série renaît de ses cendres et enchaîne pour quatre autres volets. Nous voici replongés dans la sempiternelle guerre entre vampires et loups-garous, dont on a bien compris qu’elle n’était pas près de se terminer…
Faudra-t-il que je coure
On l’avait quittée dans Underworld : Nouvelle Ère, alors qu’elle échappait à la traque des humains aux côtés de sa fille Eve, premier enfant hybride dont les deux races convoitaient le sang. Nous retrouvons Selene, seule (elle a effacé de sa mémoire l’emplacement de sa fille pour la protéger) et encore traquée, alors que son ancien allié David la pousse à rejoindre les rangs vampires. Ces derniers sont sur le point d’être décimés par des Lycans dont le chef, Marius, est lui aussi à la recherche de notre héroïne et de la petite Eve. D’abord accueillie puis trahie par les siens, Selene se rendra avec David dans un mystérieux monastère au nord, pour mettre fin à une guerre qui n’est plus la sienne…
Comme si de rien n’était donc, après la dystopie futuriste du dernier épisode, nous revoici plongés dans le cadre familier d’Underworld, avec ses clans antagonistes, partagés entre aristocratie vampire aux hiérarchies rigides et « meute » lycanthrope dirigée par un chef charismatique. L’objectif est clair : faire retour à l’ambiance des premiers films. Si la quête au monastère Coven et la résurrection qui s’y joue, donnant naissance à une nouvelle Selene, sont nettement inspirées d’Underworld II, c’est au premier volet de la saga que cet épisode emprunte son jeu d’intrigues et de complots. Emergent ainsi une suite de personnages secondaires, depuis l’amante vampire de Marius jusqu’à la perfide Semira qui, aidée par le tueur Varga, veut le sang de notre héroïne pour prendre l’ascendant sur les siens.
De l’hybridation à la déformation
La référence aux deux premiers épisodes pourrait être tentante, si elle ne faisait fi de leur caractère totalement divergent, le second n’étant possible que sur les ruines du premier. Blood Wars finit donc par vampiriser ses prédécesseurs sans qu’aucune hybridation (thème pourtant cher à la saga) n’ait lieu. A mesure que le film suit son déroulement, les personnages et les intrigues se défont, laissant voir leur nature de fétiche, comme si leur simple évocation suffisait à conférer à ces nouvelles figures l’aura des premiers protagonistes. C’est un mécanisme du même genre qui a sans doute suggéré d’inclure dans le casting pas moins de trois acteurs de Game of Thrones (dont rien moins que Tywin Lannister) : sans doute dans le but de suggérer les intrigues, les luttes de pouvoir et les trahisons tant associées à la série.
Bien vite, on s’aperçoit ainsi de l’inconsistance des personnages, à commencer par les « comploteurs », depuis Semira (dont la tentative de putsch se solde par un rond dans l’eau), jusqu’à la fiancée vampire de Marius, dans un duo lycan-vampire qui est le calque exact de l’union entre Lucian, premier chef des loups-garous, et la fille du vampire Viktor. L’antagoniste Marius est à cet égard emblématique de la façon dont le film piétine ses propres intuitions, trop empêtré à jurer fidélité aux épisodes fondateurs. Soi-disant le premier chef lycan de son acabit, ce dernier copie jusqu’aux discours de Lucian (ainsi de la scène où il calme une échauffourée entre deux de ses hommes en leur demandant de ne pas se comporter comme des esclaves). Seul problème, là où le sel d’Underworld tenait à la façon dont le film révélait progressivement la hauteur morale de Lucian, et donc sa complexité, Blood Wars dresse un portrait complètement binaire de ce nouvel anti-héros, d’abord noble puis abject. Le signe d’une incapacité à proposer un quelconque suspense dans son déroulement, tant le film est obnubilé par la promesse d’un règlement de comptes final.
Néo-kitsch
La course à la surenchère domine donc, y compris au niveau visuel. Pour rappel, le premier volet s’insérait dans un cadre codifié, mêlant l’univers néo-gothique à celui de la métropole urbaine (les manoirs de l’aristocratie vampire contre les hangars et les souterrains remplis de lycanthropes), la monstruosité de créatures légendaires à un arsenal technologique. La combinaison transposait efficacement au sein d’un univers anglais les choix effectués par Blade, dont l’anti-héros (« hybride » solitaire maniant aussi bien la mitrailleuse lourde que le sabre) et le penchant pour le gore sont les prédécesseurs directs de Selene et de ses exécutions dans le style des fatalities de Mortal Kombat.
Blood Wars reprend ce contexte déjà cohérent, en y ajoutant toutefois des références à chacun des autres épisodes de la série, y compris dans un penchant marqué pour l’heroic-fantasy dont témoigne le parcours qui conduit Selene à un couvent enneigé, où elle découvrira les portes d’un autre monde. Incapable de choisir, ce dernier volet apparaît donc comme une version démesurément enflée de l’univers Underworld, cherchant à incorporer tous ses épisodes avant d’imploser sous leur poids. Plutôt que de néo-gothique, on parlera donc d’une forme de néo-kitsch, dont la meilleure illustration est un code vestimentaire, qui voit s’ajouter, aux loups-garous (toujours dans leurs costumes de trappeurs) et aux guerriers vampires (hésitant entre habits de gala et combinaisons militaires en cuir), les moines du Nord, charmantes têtes blondes vêtues de capuches en vison.
Et pourtant, si Blood Wars frappe par son incohérence et son absolu éparpillement, le film tient dans son principal antagoniste la métaphore même de sa démarche. Ce Marius qui, en s’abreuvant du sang de Michael (le compagnon hybride de Selene, porté disparu pendant les trois derniers épisodes, et auquel les scénaristes ont finalement trouvé une utilité), donne vie à une dernière mutation monstrueuse de l’espèce, incarne à merveille l’auto-vampirisation que le dernier épisode pratique sur la saga. On peut noter, cependant, que le méchant a quelques problèmes de colonne vertébrale : mauvais présage pour le début d’une quadrilogie.