Le métier de John May consiste à enquêter sur la vie de personnes isolées qui viennent de mourir, afin d’écrire le discours de funérailles auxquelles il sera seul à assister. Ses recherches devraient en fait se limiter à contacter leurs éventuelles familles le temps de préparer l’incinération des corps, mais ce fonctionnaire méticuleux s’évertue à transformer chacune de ses enquêtes en une affaire personnelle. Ceux que le cinéma de maîtrise rebute risquent de rester insensibles devant la précision d’horloger qu’Uberto Pasolini partage avec son personnage. Aussi soigneux l’un que l’autre, tous deux poursuivent en fait le même but : révéler par la fiction la présence de ceux qui restent habituellement hors champ.
Natures mortes
Au début du film, une succession de plans fixes nous laisse explorer les vestiges d’un quotidien. Nous reconstituons avec le protagoniste les gestes de celle qui investissait les lieux avant sa dernière heure. Le film laisse le passé s’emparer de décors immobiles, pour donner le temps de parcourir des yeux ce qui s’apparente à un portrait en creux. En se concentrant sur une photo, une lettre, une bouteille de lait, ou encore un lit défait, John May interprète, imagine, et écrit sur la personne qui a imprimé sa présence sur les lieux. Dans cette approche d’un monde découpé dans des cadres irrémédiablement fixes, naît alors la projection d’un mouvement disparu. Uberto Pasolini prépare en fait le spectateur à regarder son protagoniste de la même manière. Chaque cadrage, tout autant que chaque point de raccord, révèle un trait de caractère, une habitude, qui resteraient invisibles sans leur révélation par les procédés du cinéma. L’imagination investit jusqu’au moindre détail, et s’insinue dans ce qui est d’abord perçu comme une simple toile de fond. La fenêtre d’une façade d’immeuble que nous pouvons désormais relier au logement d’un personnage ouvre à elle seule la possibilité d’entrevoir ce que cachent toutes les autres. L’insignifiant devient signifiant, dans un procédé qui a cette subtilité d’encourager l’envie d’explorer chaque recoin de l’image, plus que de ne forcer le regard vers un élément en particulier. Point de fuite de ce travail patient de composition, l’acteur Eddie Marsan irradie chaque scène tantôt d’une mélancolie bienveillante, tantôt d’un humour irrésistible.
L’au-delà
Dans une dernière enquête qui occupe la majorité du film, John May va devoir s’intéresser à un certain Billy Stoke. Assumant leurs obsessions de la maîtrise, Uberto Pasolini et son personnage esquissent méthodiquement les contours d’une vie chaotique qui se révèle au fil des traces qu’elle a laissées. Progressivement, le film se laisse aller au mouvement, en même temps qu’il se peuple de personnages secondaires. L’histoire déjà achevée de Billy Stoke révèle sa sortie progressive des cadres, payée au prix fort de ne plus pouvoir en intégrer aucun. La séparation entre le champ et le hors champ change alors de statut. Elle ne s’interpose pas entre les vivants et les morts, elle est la clôture qui exclue ceux qui se situent au delà des images par lequel le monde se représente. Et dans une dernière scène qui laisse d’abord croire à un dénouement tristement convenu, cette frontière entre visibles et invisibles s’efface finalement au moyen d’un ancestral effet de cinéma. Il n’en fallait pas plus pour que la rigueur sans faille du film se révèle être l’expression d’une émouvante modestie.