On se cherche, on s’observe, on erre beaucoup dans Une journée à Rome… Problème : le film lui-même en fait autant. Francesca Comencini n’assume ni la carte du film social, ni celle de la comédie romantique, louvoyant entre les genres pour esquisser un discours timide sur une génération perdue, sans lui permettre d’exister vraiment à l’écran.
Vaine délicatesse
Gina a 19 ans et rêve de devenir une star de la télévision. Marco a 20 ans et travaille pour une société de transport de luxe. Ces deux-là se ressemblent et vont forcément finir par s’entendre, même si ce ne sera pas sans heurts. Pendant une journée entière, Marco va conduire Gina pour la mener chez un homme politique, qui peut donner un coup de pouce (ou d’autre chose) à sa carrière, mais qui repousse sans cesse l’heure du rendez-vous.
L’ombre de Berlusconi et de ses soirées honteuses n’est pas loin. Mais la perversion de la sphère politique et la manipulation des jeunes corps féminins apparaissent seulement en filigrane dans ce film, finalement centré sur l’ennui de deux personnages déjà las de vivre, encore partagés entre adolescence et âge adulte. La scène du droit de cuissage moderne est certes traitée avec élégance. On y joue de l’obscurité et de la profondeur de champ pour construire le malaise d’une situation attendue et redoutée. On obstrue le regard, comme on claque la porte au nez de Marco une fois le « colis » livré. On évite l’acte attendu sans ôter l’horreur de la situation. Rappelons que Francesca Comencini a créé le mouvement SNOQ en 2011 (« Se Non Ora Quando ? », c’est-à-dire : « Si pas maintenant, quand ? »), pour s’élever contre le sort réservé aux femmes dans la société italienne . Aujourd’hui, son image féministe lui colle un peu trop à la peau et la dérange, même si son engagement reste intact. Cette gêne est perceptible dans Une journée à Rome, où l’enjeu moral autour du personnage de Gina (qu’on emmène littéralement au casse-pipe) est esquissé sans être pleinement assumé. À vouloir jouer la carte de l’implicite, Francesca Comencini ne se fait pas subtile, elle ne dit simplement plus grand-chose.
Itinéraire d’enfants peu gâtés
Gina et Marco roulent au départ vers une ascension sociale impossible, dans une limousine où la barrière entre chauffeur et passagère est vite brisée. Les deux enfants d’ouvriers se reconnaissent et sillonnent ensemble campagnes, grands ensembles, centres commerciaux de périphérie, jusqu’à une Rome métonymique. La silhouette imposante du monument à Victor-Emmanuel II, la Piazza di Spagna baignée dans une lumière chaude, les belles boutiques de Via del Corso et des rues adjacentes sont érigées en vision fantasmatique d’une ville magique, où tous les désirs seraient assouvis. Mais Rome se refuse sans cesse aux deux enfants de l’Italie populaire. Entraîné dans une course euphorique mais vaine, le jeune couple erre dans des lieux inadaptés à ses rêves (le vol est vite repéré dans une boutique de luxe, la place gorgée de touristes ne cache pas le couple de la police). Et l’amour dans tout ça ? Il s’immisce timidement, sans sauver de rien.
Le voyage de la périphérie au centre, tantôt léger, tantôt mélancolique, ne tend que vers un seul but : offrir en pâture à un homme de pouvoir le corps d’une adolescente prolétaire, qui joue la femme fatale, mais préfère sautiller en Converse (désormais symbole facile de l’insouciance juvénile, cf. Marie-Antoinette et Sofia Coppola). Le film s’achève dans un pessimisme attendu. Gina n’est donc que le pur produit de la « berlusconisation des esprits ». Abîmée par ce qu’elle subit avec le consentement d’une mère à la bienveillance étrange, elle est résignée à son rôle d’objet sexuel. Ainsi le film s’achève comme il avait commencé : la tête dans un téléviseur…