Pas besoin d’être fin connaisseur du film policier pour avoir directement l’impression, dès les premières images d’Une pluie sans fin, d’avoir déjà vu le film. Ce n’est pourtant pas toutes les semaines qu’un polar chinois pointe le bout de son nez jusque dans les salles françaises. Catapulté dans le sud du pays, à la toute fin des années 1990, et alors que la transformation industrielle de la Chine s’apprête à débuter, nous voilà donc face à schéma bien connu : un cadavre de femme, à moitié dénudé, est retrouvé poignardé au beau milieu d’un champ, entre deux flaques de boue. Yuo Guowei, l’agent de sécurité de l’usine voisine, débarque sur les lieux du crime et constate par la suite, lors de son passage au commissariat local, que ce meurtre sauvage s’inscrit dans une continuité. Soit le début d’une enquête obsessionnelle pour cet homme sans but véritable, qui se plongera dans son investigation au détriment de sa vie personnelle. On connaît la musique et l’on espère, discrètement, que Dong Yue cherchera, pour son premier long-métrage, à s’en démarquer assez vite (partir du film policier pour mieux en détourner les attentes et le schématisme) ou, encore mieux, tentera de mettre le genre du polar face à ses propres limites (le policier solitaire comme miroir d’une société tout entière).
Pourquoi pas, tel Zodiac, Memories of Murder ou La Isla Mínima, détourner la quête d’absolution personnelle vers le portrait d’une époque, là où la recherche du serial-killer finit par s’avérer secondaire au profit d’un tableau de fin de cycle : celui des années 1960 aux États-Unis chez David Fincher, celui des années 1980 en Corée du Sud chez Bong Joon-ho ou dans l’Espagne post-franquiste chez Alberto Rodríguez. Il y a bien une tentative de portraitiser la métamorphose chinoise entre 1997 et 2008, décennie au sein de laquelle prend place Une pluie sans fin, mais Dong Yue en souligne lourdement les transformations en changeant la pluie sans fin du titre en chutes de neige dix ans plus tard. L’eau est devenue neige et le pays a donc fini par geler ses routes et ses moteurs, empêchant tout mouvement, à l’image du bus immobilisé dans le froid à la toute fin du film. La limite de cette analogie vient du fait qu’elle ne s’impose jamais autrement que par des parallélismes répétitifs et insistants : une usine en effervescence puis en décrépitude, un homme respecté puis bafoué, etc. Et lorsque la pluie et le mauvais temps ne suffisent plus à illustrer les enjeux en cours, Dong Yue se tourne vers le flash-back explicatif, le panneau contextuel et le twist tarabiscoté, là où trouble et mystère n’ont définitivement plus leur place.
Après la pluie
Dong Yue, en bon premier de la classe, y déballe sagement sa leçon et suit un chemin tout tracé sans inclure la moindre sortie de route. Cas d’école du polar humide cadenassé, Une pluie sans fin récite les codes sans même réfléchir à la systématisation de leur emploi : filtre grisâtre et terrain humide, pluies diluviennes et brume qui brouillent les pistes, jeune femme en détresse que l’on pense pouvoir sauver, propos sociétal en toile de fond, clopes grillées à la chaîne et profiling amateur foireux. Il manquera d’ailleurs à cette accumulation de codes, transformés en clichés attendus, le plus important, à savoir ce zeste de folie qui s’infiltrerait dans les corps et les esprits, ici cantonné à une vague paranoïa passagère. Celle-ci finira par aboutir à un bouquet final sentencieux, où un courroux divin vient s’abattre sur la figure de Yuo Guowei dans un enchaînement de sanctions célestes (catastrophes météorologiques, destructions d’usines, annihilation des illusions ouvrières révolues et révélations en série qui viennent en remettre une couche). C’est tout le problème de ce polar qui a eu les yeux plus gros que le ventre : celui de vouloir fournir une fresque sociale ambitieuse qui, dans son dernier tiers, échouera à résoudre ses propres pistes sans sombrer dans la surenchère punitive.