Sorti en catimini en même temps que le très mauvais (et fort justement décrié en ces colonnes) Megamind, Une vie de chat n’aura que peu de chances de déplacer les foules, malgré la période de Noël, pourtant propice. Intelligent, prenant et ambitieux, ce premier long métrage d’animation va souvent là où on ne l’attend pas, et mérite largement le coup d’œil.
Une véritable guerre de religion à la férocité jamais démentie sous-tend l’histoire de l’humanité depuis des éternités, une fracture idéologique qui désespérerait les pacifistes les plus idéalistes : l’opposition farouche entre amoureux des chats et amateurs de chiens. Comme dans toute bonne bataille idéologique, les deux partis campent fermement sur leurs positions, et sont irréconciliables. Les zélateurs de la fidélité et de l’intelligence canine n’ont ainsi de cesse de dénoncer la perfidie et l’hypocrisie féline. Et les amoureux des chats, devant de telles accusations, auront un petit sourire, gratteront le menton de leur ronronnant Judas, et répondront : « justement…»
Les réalisateurs Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol sont manifestement de cette engeance. Leur vedette féline donne le ton de leur film : un véritable polar, aux tons inhabituels dans l’animation, et au développement bien éloigné des sentiers battus. On y voit le gangster notoire Costa, responsable de la mort du mari de la commissaire Jeanne, revenir hanter sa famille dans une affaire de vol. Cette fois, c’est la petite fille, renfermée et mutique, de la commissaire, qui pourrait faire les frais des crimes de Costa. C’est compter sans Dino, le chat de la petite fille, mystérieux greffier qui fuit la maison la nuit venue, pour aller rejoindre l’étrange voleur monte-en‑l’air Nico – un voleur pas comme les autres qui pourrait venir au secours de la gamine.
C’est du sérieux. Les réalisateurs Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol, dont c’est le premier long métrage, sont complices de longue date, ayant déjà travaillé sur de nombreux courts. Ils ont également collaboré au film de Jacques-Rémy Girerd, la Prophétie des grenouilles (les studios Folimage ont également été associés à la sortie du joli et intelligent Mia et le Migou). La marque de fabrique du studio ? Une attention particulière aux graphismes et une certaine intransigeance scénaristique. Si les films de ce studio sont adaptés à un public enfantin, ils délaissent la mièvrerie parfois associée aux productions jeunesse – des films à la forme enfantine donc, mais aux préoccupations toujours sérieuses. Il serait temps.
Esthétiquement, si les films de Jacques-Rémy Girerd se rapprochent des peintres naïfs, Une vie de chat se rapproche plus volontiers de l’univers visuel de Picasso et de Modigliani, avec des personnages aux lignes douces, aux formes pleines et agréables, sur un canevas à la palette arc-en-ciel, entre les œuvres de Pierre Bonnard et celles des impressionnistes. Au-delà de ce style déjà très travaillé, le film n’hésite pas à faire des propositions formelles inédites, telles que ce très beau passage en « vision chat », tout à fait savoureux.
Narrativement complexe et mature, visuellement brillant et novateur, Une vie de chat démontre à la fois la capacité de ses réalisateurs à s’exprimer en long métrage, et l’intelligence toujours renouvelée des productions Folimage. Mieux encore, le film se permet des zones d’ombre, de gris, d’incertitude dans son histoire, comme dans ses personnages (ainsi, quel est le lien étrange, sinon surnaturel, qui lie le chat et son surnaturel ami le monte-en‑l’air ?). Du mystère, des ambiguïtés – voilà qui est fort félin. Et c’est très bien comme ça.