DreamWorks continue son œuvre copiste de Pixar avec un film au discours réactionnaire, qui se résume à la mort de la subversion pour faire régner l’ordre. Sous ses apparences modernes, cette production fondée sur des dispositifs scénaristiques maintes fois vus est à ranger du côté des œuvres les plus médiocres du studio.
Depuis plusieurs années, Pixar/Walt Disney, DreamWorks/Paramount ou encore Blue Sky/Twentieth Century Fox s’affrontent vigoureusement sur le marché du film d’animation en images de synthèse. Pour l’instant, Pixar demeure le leader incontestable de cette lutte grâce à la qualité constante de ses productions qui allient ingéniosité scénaristique et formelle. Peu de studios peuvent se targuer d’avoir su créer des chefs‑d’œuvre du genre comme la série des Toy Story, Wall‑E et Monstres & Cie. Les sociétés concurrentes apparaissent plutôt comme des suiveuses, tentant de surpasser le maître grâce à quelques coups d’éclat. Si DreamWorks, le principal adversaire de la firme, a produit des œuvres regardables (le premier Shrek ou la série Madagascar), leur qualité est beaucoup trop fluctuante. Le banal Megamind fait ainsi partie des films les plus bâclés du studio. Tom MacGrath, son réalisateur, qui a pourtant brillamment réalisé les deux Madagascar, livre ici une mécanique filmique froide, fondée sur les recettes habituelles du genre : le cocktail bons sentiments, humour noir et parodie (Donkey Kong et Mario, Superman) sans apporter une once d’invention et surtout de personnalité. Ça sent le déjà-vu à plein nez avec des scènes sans âme. Les stars sont également au rendez-vous avec Will Ferrell et Brad Pitt qui cachetonnent tranquillement dans les « rôles » principaux (Kad Merad et Franck Dubosc en version française… rien à ajouter) ainsi que la fameuse 3D, qui semble particulièrement inutile ici : peu de séquences semblent la justifier. C’est l’un des seuls points positifs — involontaire — de cette production, si l’on se souvient de Shrek 4, entièrement construit autour de scènes spectaculaires. Tout est ainsi marketé pour attirer le spectateur dans la salle, ni plus, ni moins. Le reste — le contenu et l’originalité –, les producteurs s’en contrefoutent.
Au regard des avancées techniques continues de l’image de synthèse, rendant les œuvres animées de plus en plus perfectionnées, le véritable enjeu du genre semble résider dans la qualité du scénario : si la mise en scène reste évidemment essentielle, trop de films délaissent le récit au profit de l’effet et du graphisme — phénomène exacerbé avec la 3D. Megamind est malheureusement défaillant sur ce point : il conte l’histoire d’un super-méchant, gros loser pathétique, qui devient un super-gentil grâce à l’amour. Cette histoire simpliste, dénuée de nuances, est à l’image de cette comédie : paresseuse. Pire encore, elle présente un fond réactionnaire. Lors de quelques séquences introductives bien menées, le message apparaît progressiste : le mal subversif se substitue à une vision du bien profondément moralisatrice. Mais très vite, le métrage s’éloigne de ce point de départ réjouissant pour finir avec une victoire triomphante du politiquement correct : le mal/progrès ne peut pas prendre le pouvoir car, comme souvent dans l’esprit des tenants conservateurs de l’autorité, il est dépourvu de programme sérieux. Il doit alors se soumettre à l’ordre. Avec ce type de pensée binaire, on est à des années lumières de ce que Pixar peut proposer en termes de contenu. Megamind ressemble à certains jeux vidéo next-gen formellement magnifiques, mais peu novateurs : ils habillent luxueusement des trames scénaristiques et vidéoludiques archaïques. La tradition revêt une forme moderne, comme souvent chez DreamWorks, qui présente des scénarios bien-pensants, tendance droite dure (Kung-Fu Panda notamment), dans un style léger. Il en résulte un fond pernicieux, qui influence directement les plus jeunes.
Moi, moche et méchant, qui fonctionne sur le même principe scénaristique (hasard du calendrier des sorties), est autrement plus intelligent. Le film de Pierre Coffin et Chris Renaud est fondé sur une belle sensibilité enfantine qui s’éloigne de toute vision formatée du monde. Gru est un méchant d’opérette qui se borne à jouer un rôle. S’il devient plus gentil, ce n’est pas pour rentrer dans le rang, mais pour vivre pleinement sa vie et sortir du carcan dans lequel il s’était enfermé. Grâce à ses filles adoptives, il s’évade enfin de la monotonie de son existence morne et mécanique pour s’ouvrir davantage aux autres. Tout le contraire de Megamind qui repose sur des valeurs cloisonnées.
En observant les rouages lassants de telles productions — au-delà du discours rance de certains scénaristes et producteurs, qu’on ne pourra malheureusement jamais faire évoluer — on se dit que le stade critique du genre pointe son nez. Il a grandement besoin de se renouveler et de trouver d’autres voies que la simple réactualisation des dispositifs inventés par Pixar. Ce studio, qui a donné involontairement vie à des œuvres comme Megamind, arrive d’ailleurs à une étape importante de sa jeune vie : s’il arrive encore à passionner par la richesse de ses scénarios, il doit trouver un second souffle afin de ne pas se cantonner à l’application mollassonne de ses recettes maison. Heureusement pour lui, le manque d’imagination de ses piètres copieurs lui donne, pour le moment, une avance confortable. En caricaturant à l’extrême son style, les autres firmes l’amèneront peut-être à innover davantage pour créer de nouvelles références artistiques. Quant à DreamWorks, une sérieuse remise en question s’impose.