Au début des années 2010, l’acteur américain Val Kilmer a été diagnostiqué d’un cancer de la gorge. Bien qu’il se soit remis de la maladie, sa voix a été profondément endommagée à la suite du processus de guérison. Un événement qui marqua la fin d’une carrière traversée par autant de fulgurances que de passages à vide. Val entreprend de retracer cette histoire et de revenir sur la filmographie contrastée de l’acteur, par l’entremise d’images d’archive, de films de famille et d’extraits de films. Motivé par la fragile santé d’un homme que l’on sent hanté par le spectre de la disparition, le documentaire de Ting Poo et Leo Scott lui a laissé les clés de la narration. Si Kilmer parvient aujourd’hui difficilement à parler, son propre fils s’est chargé, pour constituer une voix-off, de lire un texte rédigé en amont par l’acteur. Quelque part, Kilmer dicte lui-même le tempo de son biopic, les images et le montage du film se calant sur les fluctuations de sa pensée, autour du cinéma et du métier d’acteur, mais aussi de la vie, la mort, la maladie, l’héritage, la famille, etc.
Ce commentaire hanté, où l’on reconnait le timbre (disparu) de Kilmer dans les paroles de son fils, a donc pour principe de « donner une voix » à un homme ayant perdu la sienne. Mais documenter la vie d’un acteur tout en lui laissant le soin de parler lui-même de ses propres films, c’est aussi prendre le risque que le résultat se cantonne à un storytelling consensuel, plat et attendu, même lorsqu’il est question d’aborder les épisodes moins glorieux de son parcours (son rôle dans Batman Forever, son divorce, ses difficultés pour financer un grand projet de film sur Mark Twain, etc.). Parce qu’il privilégie le portrait d’un jeune homme marqué par le décès de son frère, puis celui d’un père aimant et attentionné, il ne sera jamais vraiment question du jeu de Val Kilmer, des lignes tracées par sa filmographie ou même de ses collaborations, à l’exception de quelques confrontations occasionnelles (par exemple avec John Frankenheimer ou Marlon Brando sur le tournage de L’Île du Docteur Moreau). Le principal problème de Val est sans doute de manquer de recul sur son sujet, de rendre hommage à une icône plutôt que d’en examiner la trajectoire. Une célébration par ailleurs globalement inégale, voire brouillonne, la moindre piste esquissée par le montage finissant à chaque fois par être abandonnée pour les besoins du récit. Le film apparaît comme contraint, par son dispositif, à prendre une direction avant d’en emprunter une autre, sans jamais aller au bout. Pourtant central, le recours aux extraits de films n’a en cela rien à envier aux petits mashups honorifiques (et insipides) aperçus lors de la cérémonie d’ouverture du Festival (d’autant qu’on notera ici quelques absences étonnantes, Twixt et Bad Lieutenant en tête). Même constat pour les images d’archive familiales, assemblées comme il faut, selon les normes en vigueur (comme des illustrations). Quant à l’éventualité d’un face-à-face avec Kilmer, il est regrettable que le film, probablement par excès de pudeur, n’ait pas davantage pris le temps de se confronter à cette voix dysfonctionnelle, à ce timbre déraillant et désormais quasi inaudible, alors même que celui-ci dénote radicalement avec l’image que l’acteur a pu renvoyer par le passé.