Présenté en compétition au festival Chéries-Chéris à Paris, Weekend dissèque, par-delà le thème de l’homosexualité, celui de la rencontre amoureuse. Une brève rencontre qu’incarnent, avec une authenticité sans failles, l’approche réaliste de l’anecdote et le lent tempo de la découverte de l’autre, faite d’une longue suite d’écarts avec les règles de la romance traditionnelle.
Ce qui devait être une histoire sans lendemain s’ouvre au jeu de l’émotion et du don de soi – précisément parce que c’est le lendemain que cette histoire commence. Après une introduction qui amène Russell d’une soirée avec des amis hétéros à un bar homo, le scénario choisit l’ellipse. Nous sommes déjà ce lendemain où tout va prendre forme. Au réveil, Glen et Russell partagent un café et, surtout, le souvenir de la nuit qu’ils viennent de passer ensemble. C’est le premier basculement, habile, qu’accomplit le film : au lieu de montrer la rencontre entre les deux hommes et la rapide consommation de l’amour, Weekend réécrit l’histoire.
Car Glen est artiste et il a un projet, encore mal défini, qui consiste en tous cas à enregistrer au matin ses amants lui racontant la nuit qu’ils viennent de partager. C’est dans cet écart entre l’ellipse narrative et le récit qu’en font les personnages au matin que le film s’écrit. Il investit ce vide laissé par les images, comme la toile blanche sur laquelle chacun se projette dans toute nouvelle relation (dixit un des personnages). Les images qui ont été soustraites au regard sont décuplées dans les mots, elles débordent le récit et l’action est investie d’une charge affective pure. Le sexe en soi est d’abord anodin. Il ne vaut que pour cette réécriture émotionnelle qu’en donnent les personnages a posteriori. Les gestes des deux amants, lentement et pudiquement décrits et commentés par Russell, phagocytent les images que nous n’avons pas vues et esquissent la voie dans laquelle s’engouffre le film.
Le propos est bien celui de l’extériorisation, celui de la réduction de la distance entre l’intime et le public – car un geste tendre peut être donné comme une affirmation quasi politique. Tout le travail du film est de surmonter et de transformer cette obsession du privé en accomplissement déclaré de soi. Ainsi, au-delà de la posture naturaliste, le film se donne comme un sentiment de réalisme. Avec un regard précis, Andrew Haigh met en scène l’exploration des corps et des cœurs des amants l’espace d’un week-end. La banalité du quotidien se répète (préparer le café ou regarder, de sa fenêtre, son amant s’éloigner) et le film la dessine comme un motif qui permet que s’insinue, dans un circuit qu’on croit tracé, un lyrisme fugace.
Du tendre lendemain à la fin précipitée mais ouverte de l’aventure, l’intrigue dessine avec une authenticité inouïe les mystères et le plaisir de l’abandon à l’autre – plaisir qu’après quelques heures seulement, on n’ose encore assumer. Le film ouvre les possibles ; chaque scène semble annoncer la même interrogation à la manière d’un instantané – et si… ? À partir de ces incertitudes, le tempo de l’ordinaire met en marche une proposition. Contre l’idée en vogue au cinéma qui veut que l’amour naisse de l’amitié sexuelle, Weekend assume une certaine sentimentalité a priori. Le sexe alors, loin du sensationnalisme qu’on peut redouter, se donne comme un cap : un nouveau basculement des personnages vers l’honnêteté et la délicatesse les plus directes.
L’habileté tient énormément des personnages. Chacun, en un sens, incarne une posture face à l’homosexualité : intime, politique. Russell, pas tout à fait out, a encore beaucoup à accepter et cherche l’apaisement d’une relation à l’intérieur ; tandis que Glen rejette en bloc l’assimilation et revendique sa particularité. C’est comme si ces deux personnages, tels deux corps étrangers, étaient mis en contact l’un avec l’autre et que la caméra en observait les réactions. De cette illusion du réel naît une foule de surprises qui ne tient pas tant de l’anecdote que d’une sincérité sans égratignure, confondante.