Neuf ans après Les Bêtes du Sud sauvage, lauréat de la Caméra d’or au Festival de Cannes, Benh Zeitlin revient avec Wendy, qui s’inscrit dans les pas de ce premier film tout en retournant son mouvement comme un gant : il ne s’agit plus d’enchanter le réel (les visions fantasmatiques d’une enfant dans le bayou), mais d’ancrer l’enchantement (le mythe de Peter Pan) dans une réalité plus tangible, où le merveilleux et le trivial marchent côte-à-côte. Puisque Wendy se fonde sur un élan enfantin, il n’est pas illogique que les premières minutes offrent au film sa scène la plus convaincante : dans un diner un peu délabré, on y voit Wendy, encore à quatre pattes, observer la matière des choses qui l’entourent (la farine, la poussière, le grésillement du bacon), avant que son attention ne soit détournée par le mouvement d’un train à bord duquel s’enfuit un garçon un peu plus âgé qu’elle. Les pupilles élargies, la gamine contemple derrière la vitre d’où elle se tient cette envolée aux accents fantastiques ; une promesse d’aventure qu’elle concrétisera à son tour, quelques années plus tard. On reconnaît là « l’énergie » dont Les Bêtes du Sud sauvage tirait sa séduction, mais qui faisait aussi sa limite : comme l’évoquait Julien Marsa lors de la sortie du film, non seulement la vitalité « tourbillonnante » du récit accouchait d’une logique répétitive, mais la relance constante de son élan vital donnait au film les allures d’un sprinteur tenant difficilement la durée.
Wendy souffre des mêmes maux mais, plus encore, butte sur la littéralité de l’imaginaire de Zeitlin, qui fait de Neverland le théâtre d’un récit tout en oscillations, entre la joie innocente de l’enfance éternelle et le double-fond macabre que recouvre cette promesse – sur l’île aux enfants, vieillir est l’ultime névrose, l’interdit suprême. Or la mise en scène de Zeitlin, qui repose beaucoup sur la valeur illustrative des décors (le territoire des vieillards ressemble à un bidonville, la tristesse d’un enfant éclate sur une plage jonchée de déchets) ainsi que sur une partition musicale appuyée, ne sait au fond que faire de ce grand écart. Si la morale de la fable est pourtant dialectique – il faut accepter de grandir pour continuer d’être un enfant (et par là de vivre des aventures et réenchanter le monde) –, le film ne parvient pas à trouver la vitesse nécessaire pour concilier les deux pans du récit. Wendy ne repose au fond que sur deux temps : celui de la course, et celui de l’arrêt, qui est précisément la condition pour recommencer à courir. En résulte un film qui s’épuise beaucoup, mais donne aussi l’impression de chercher constamment (sans succès) à se relancer. N’est pas marathonien qui veut.