Lauréat de la très convoitée Caméra d’Or, le premier long-métrage du jeune Américain Benh Zeitlin, s’intitule à juste titre Beasts of the Southern Wild (« Les Bêtes du Sud sauvage »). Il y a en effet beaucoup d’animaux dans ce film intense tourné en Louisiane du sud dans les bayous. Peuplé de cochons, de poules, d’insectes, de poissons et de crustacés, ce conte apocalyptique post-Katrina est une arche de Noé cinématographique embarquant à son bord une poignée d’incorruptibles – les habitants du « Bathtub », cette zone marécageuse bordée par le delta du Mississippi.
Bien décidés à sauver leur peau et leur toit à l’approche d’une tempête sur le point d’advenir, les membres de cette communauté vivent dans la misère et la fange, perchés dans des baraques rouillées faites de bric et de broc. Si les décors se nourrissent visiblement des lieux réels de tournage (Montegut, Louisiane) où l’équipe s’est installée début 2010, le film invoque en son sein nombre de références artistiques américaines. On pense notamment au Mississippi de Faulkner, tel qu’il le décrit dans son roman Si je t’oublie Jérusalem (1939). Par les thèmes abordés et les méthodes de production adoptées, on ne peut s’empêcher de penser au cinéaste Robert J. Flaherty, qui a d’ailleurs tourné dans le bayou (Louisiana Story, 1948). Mais revenons-en à nos bêtes… Séparés du monde « sec » et civilisé par une longue digue, ces hommes, ces femmes et leurs enfants ne vivraient ailleurs pour rien au monde. S’ouvrant sur une fanfare vibrante d’énergie et de joie, Beasts of the Southern Wild est un voyage initiatique aux airs d’Odyssée, une fable réaliste et magique à la fois, où survivre est la seule règle à suivre. L’apprentissage de la survie : c’est là tout l’enjeu de la relation père/fille quasi-bestiale qui se joue entre Wink (Dwight Henry) et sa fille de 6 ans, Hushpuppy (l’incroyable et magnétique Quvenzhane Wallis).
Porté par la voix-off de la fillette (qui ne cesse de vouloir percer le mystère des battements de cœur des êtres qu’elle croise), le récit de Beasts of the Southern Wild est également travaillé par une voix plus ancienne, collective et légendaire. Épaulé par Ray Tintori (directeur des effets spéciaux), Benh Zeitlin intègre en effet à son histoire des séquences de fonte des glaciers et de cavalcades d’aurochs ressuscités. Si ces créatures symbolisent la menace qui plane sur notre planète, ils sont diégétiquement fantasmés par Hushpuppy elle-même. Très tôt, elle pense en effet avoir déclenché le chaos en frappant sur la poitrine de son père malade. Ici, la vision panthéiste du jeune Benh Zeitlin n’est pas sans rappeler The Tree of Life et son bestiaire primitif. Mais son propos est-il vraiment mature? Au bout du compte, en acceptant la réalité de la mort et en se libérant du fantôme maternel, Hushpuppy l’enfant devient une vraie guerrière, prête à défendre seule « sa » terre et à en fouler le sol avec ivresse.
Jubilatoire, enchanteur et terriblement âpre à la fois, Beasts of the Southern Wild est un chant d’amour et d’espoir lancé tel un feu d’artifice pour faire taire les désolations passées et à venir…