Porter à l’écran l’humour absurde de Fabcaro n’est, sur le papier, pas chose aisée. Si Laurent Tirard s’était déjà pris les pieds dans le tapis en mettant en scène le roman Le Discours, la tâche est encore plus difficile pour François Desagnat, qui adapte la bande dessinée la plus connue de son auteur, Zaï Zaï Zaï Zaï. Le récit tient sur un ticket de caisse : Fabrice (Jean-Paul Rouve) est un fugitif que la France entière veut voir arrêté parce qu’il a commis le crime d’oublier sa carte de fidélité au supermarché, puis de menacer la caissière avec un poireau. Hormis quelques aménagements scénaristiques – le héros n’est plus dessinateur de bande dessinée, mais acteur de comédie, pour ouvrir sur une mise en abyme du petit monde des comiques français – le cinéaste reste fidèle à l’œuvre originale, transposant ses vignettes dans une suite de sketchs malheureusement assez médiocres. Le film convoque plusieurs figures de l’humour hexagonal (le réalisateur des films de Michaël Youn, la troupe des Robins des bois ou encore Ramzy Bédia, que l’on a rarement vu aussi peu drôle), et tente d’opérer la synthèse des deux grandes veines comiques des années 1990 – le non-sens des Nuls et le goût de la caricature des Inconnus –, pour un résultat peu inspiré et un brin nombriliste. Le récit tend à se recroqueviller autour de la caricature d’un show business en proie à ses démons. « Cancel-moi si tu peux ! » serait quelque part le mot d’ordre résumant la fuite de Fabrice, dont les mésaventures suscitent prises de position et récupérations de la part de ses camarades artistes. En osant quelques acrobaties et pas de côté (un vers la dystopie, un autre vers la satire sociale et politique), le long-métrage n’en finit pas moins par s’étaler tristement sur le dos, à l’instar de l’agent de sécurité dans l’une des planches les plus drôles de la bande dessinée.
Cette séquence, où le vigile menace d’exécuter l’improbable figure pour faire peur à Fabrice, avant de s’exécuter sans panache, offre un bel exemple de ce qui coince ici. Reprenant peu ou prou le découpage de la bande dessinée (un cadre fixe, le corps de l’agent qui sort du champ par le bas, ses jambes bientôt en l’air), la mise en scène de Desagnat tombe à plat : une situation comique pensée pour une économie de six cases fixes ne produit pas le même effet au cinéma, avec vingt-quatre images par seconde. Car c’est dans la maîtrise graphique du dessinateur que se niche le secret du gag : un trait épuré, un minimalisme des expressions et un strict contrôle du cadre. On rit des petites variations que l’auteur ménage entre chaque vignette ; ce qui entre et sort du champ, ce qui n’est plus à sa place d’une image à une autre. Il s’agit d’un système visuel rigoureux, contrebalançant le débordement des situations et des dialogues absurdes qui emportent le récit dans des directions inattendues. Retranscrit sans être repensé en profondeur, l’humour de Fabcaro se voit réduit à l’énoncé de ses gags potaches un peu rétrogrades — une pincée de « le monde est devenu fou», une autre de « on ne peut plus rien dire ! ». Comme tétanisé, le cinéaste ne parvient qu’à singer les gags du dessinateur, ne retenant de l’œuvre (plus minutieuse qu’il n’y paraît) que ses atours grossièrement loufoques.