Courrier des lecteurs
Toutes les opinions sont respectables, et vous avez parfaitement le droit de ne pas aimer ce film. Cependant le ton ironique et quasi méprisant de votre article à l’égard de l’auteur, du réalisateur et des artistes, ainsi que la vacuité de son argumentation sur le thème de fond, provoquent cette réponse.
1- Anges et Démons et avant toute chose un thriller, un film policier si vous préférez. Le fait qu’il se situe au Vatican, pendant l’élection du Pape, n’enlève absolument rien à l’affaire.
Exception faite de la scène, ridicule, du parachutage, tout le reste est excellent ; suspense permanent, action, excellente musique, belles images. Quant au jeu des acteurs, il est largement suffisant pour que le spectateur y croie.
2- L’article se centre sur le débat religion/science ce qui à mon avis est hors sujet. Le thème est bien évidement abordé par le réalisateur, mais seulement superficiellement, dans le but de nous faire comprendre l’histoire. Et, contrairement à ce qui se dit dans l’article, l’Église est traitée correctement dans tout le film, j’irais même jusqu’à dire avec une bienveillance suspecte. Cela a‑t-il été le prix à payer pour pouvoir tourner dans les lieux sacrés ?
Cela dit, ce sujet est passionnant, et méritait autre chose que les formules vides de sens et les citations, piochées presque au hasard dans le dictionnaire du même nom, que l’on peut lire dans cette critique.
Ceux qui ont pu saisir le message implicite contenu dans la Bible et les autres Écritures, et/ou étudié la physique quantique, ont eu la chance de comprendre depuis longtemps que la science et la spiritualité ne font qu’un. Je pense à Albert Einstein, Max Planck, Heisenberg…et beaucoup d’autres qui n’ont rien d’illuminés. Quelque soit le chemin suivi pour y arriver, l’une comme l’autre sont incapables d’expliquer en fin de compte, ce qu’il y avait « avant » (le Big-bang ou la Création comme on préférera). Certains appellent cela Dieu, d’autres, l’énergie cosmique, d’autres encore préfèrent ne pas y penser, mais, comme disait Einstein, « tout les restes sont des détails ».
Bien cordialement.
Jean G.
—-
Bonjour Monsieur,
Je ne suis pas totalement d’accord avec vous lorsque vous me dites que toutes les opinions sont respectables, il y en a beaucoup ‑politiquement, socialement, culturellement- que je ne respecte pas vraiment. Mais passons, il s’agit pour moi de répondre à votre contre-critique.
1) Vous m’accusez de mépris envers Ron Howard : je n’ai aucun mépris vis-à-vis de l’homme, que je connais pas et qui est certainement très sympathique. Cependant, je n’ai pas beaucoup d’admiration pour son travail, dont Anges et Démons, effectivement classique et cadré dans son montage et ses effets spéciaux, ce qui me semble être le minimum minimorum lorsque l’on obtient ce genre de budget dans une telle machine de production qu’est Hollywood. Difficile de me défendre sur ce que vous appelez la « vacuité » de mon propos. Finalement, elle est peut-être à l’image du film…
2) Vous-même pointez les limites des acteurs : « suffisant », pour un acteur, ne me suffit pas. Je ne vais pas au cinéma pour voir des pantins déblatérer des dialogues proches du néant. Un acteur sans profondeur ‑même pour montrer l’absence de profondeur- n’a que peu d’intérêt. Si je voulais excuser les acteurs de Ron Howard, je pourrais souligner l’absence totale d’écriture ‑réactivation des mêmes thèmes depuis plusieurs films, grossièreté des moments de drame pur ou des moments de retournement, dialogues ping-pong « oh mon Dieu mais c’est vous le meurtrier » finalement très descriptifs et sans grand point de vue sur le sujet traité…- pour expliquer la torpeur de Tom Hanks, et celle des personnages mal construits et très topiques (la brune pulpeuse et intelligente, le scientifique troublé dans son rationalisme mais fasciné par la grandeur du Vatican).
3) Le débat entre science et religion est, contrairement à ce que vous dites, le centre du film, et notamment le centre du discours des personnages « travaillant » au Vatican : on comprend bien dans le film qu’un cardinal doit défendre une religion archaïque, qu’un scientifique doit, au départ, mépriser les instances de l’Eglise, et que tous doivent reconnaître le danger d’une nouvelle croisade contre l’Eglise catholique, menacée ici par une secte réactivée, mais menacée tout court par le reste du monde. Je doute d’ailleurs que tous les cardinaux soient de cette trempe ; la représentation de la religion elle-même est ridicule, pas seulement celle de la science. Si toutes les dérives existent, je crois que le cinéma devrait s’attarder à davantage de nuance et de réflexion. Un thriller ne brille que par sa musique (vive les remix d’Era), son montage clipesque (qui ne forge pas un rythme), et son côté tape-à-l’oeil. En clair, un bon divertissement n’est pas seulement un amalgame de techniques coûteuses.
4) Tout cela pour conclure sur notre profonde divergence : le cinéma, pour ma part, a une forme ET un fond. Tout film possède son discours, surtout lorsque celui-ci a pour postulat scénaristique le salut de l’Eglise. Pour votre gouverne, les « cadeaux » donnés au Vatican ne sont absolument pas un prix un payer pour tourner à Rome : la place St-Pierre a été reconstituée en studio, le Vatican refusant de prêter les lieux. Il n’y a pas eu de négociations, il y a simplement la véritable volonté d’assumer une culture conservatrice et peu apte à la remise en question du haut-clergé.
Il me semble que le débat science/religion est tout à fait d’actualité lorsque l’on regarde les discours sociaux, parfois médicaux, de certains représentants des trois monothéismes classiques pour ne citer qu’eux. En outre, la spiritualité ‑quoiqu’en dise Ron Howard- n’est pas nécessairement la croyance : faire état du doute scientifique, de l’idée que la science n’explique pas tout est évidemment très classique et vos références en témoignent. Cependant, on ne tente plus beaucoup de prouver l’existence de Dieu depuis Kant. Le doute, l’inexpliqué, n’est pas forcément le divin ou le mystique. Le trouble entre science et foi (qui ne sont pas incompatibles, mais ne sont pas non plus, comme vous semblez le dire, inséparables) est un sujet intéressant. Mais Ron Howard sauve l’Eglise sans jamais remettre en question son discours, et sans jamais se pencher sur ces doutes.
Evidemment, citer deux répliques d’un film qui dure plus de deux heures est un raccourci : mais ce raccourci me semblait, et me semble toujours, tout à fait représentatif de ce que l’on trouve dans les films de Ron Howard. Penser ainsi la religion aujourd’hui, penser ainsi la science aujourd’hui, est juste une façon de réactiver des conflits philosophiques et politiques dont l’Eglise devrait s’échapper pour devenir autre chose qu’un bastion d’anciens combattants totalement décalés du contemporain.
Bien cordialement,
Ariane Beauvillard
—-
Lire l’article Anges et démons par Ariane Beauvillard.