Voici deux ans que l’on attend avidement, non le nouvel opus de Ron Howard qui, malheureusement, est de plus en plus productif, mais la « suite » du Da Vinci Code, sorte de concentré des peurs primaires conservatrices. Nous ne sommes pas déçus devant Anges et démons qui, non content d’appuyer la réputation de faiseur de son réalisateur, réussit en un film à sauver l’Église catholique, à rétablir une guerre entre science et religion, à faire découvrir au monde un certain Galilée, et, enfin, à payer les impôts de Tom Hanks. Elle est pas belle la vie ?
Comme l’avait titré Libération après la mort de Jean-Paul I en 1978 : « Le Pape est encore mort ». Branle-bas de combat au Vatican, il va falloir en élire un autre. Pas facile facile la vie de cardinal lorsque l’on perd ‑on nous le dit en voix off- un « pape progressiste et bien-aimé » (Jean-Paul II?) à l’heure où les « traditions ancestrales sont menacées par le monde moderne ». Pauvre monde moderne ! Ron Howard se jette sur lui comme la petite vérole sur le bas-clergé. Évidemment, il n’est pas là pour créer une nouvelle papamobile mais pour nous expliquer que l’Église catholique doit être sauvée. Et par qui ? Mais par un gentil scientifique voyons ! Le fameux spécialiste des symboles Robert Langdon, interprété par un Tom Hanks légèrement mieux coiffé qu’il y a deux ans, est un peu réticent à l’idée que Dieu existe. Mais la résistance au divin est de bien courte durée, tout simplement parce que les méchants sont trop méchants face à une gentille Église qui prêche le Bien. Certes, elle a visiblement fait quelques erreurs il y a plusieurs siècles. Mais l’important est, qu’aujourd’hui, les Inquisiteurs sont de l’autre côté.
Quelle est donc cette terrible menace, ce terrible complot qui pourrait faire chavirer notre joli monde chrétien ? Une ancienne secte réactivée de scientifiques qui aurait juré la destruction de l’Église pour se venger des persécutions de cette dernière : on nous explique que Galilée aurait appartenu à la secte en question. Pour mémoire, les « Illuminati » en Bavière, ou en France ‑Fils de la Lumière est un des premiers noms de la Franc-maçonnerie‑, n’ont jamais revendiqué violemment leurs principes. Mais nous sommes au cinéma, tout cela n’est visiblement pas le propos, et n’est pas bien grave non plus. Renversement oblige, c’est maintenant le pilier du religieux qu’il faut défendre contre les défenseurs d’une « raison violente » que l’on ne verra jamais dans le film, à qui donc on ne laissera ni la parole ni la moindre chance de développer le « discours du Mal ». Ce dernier, comme dans tous les théories du complot, est un fantôme, une menace d’autant plus effrayante qu’elle est cachée. L’important n’est pas de comprendre son ennemi, ni même d’en étudier les origines, mais de savoir qu’il est ennemi. La science n’aura donc pas d’avocat. Anges et démons ne raisonne de toutes façons qu’en terme de guerre, de conflit : la science, visiblement, ne peut plus s’expliquer face à la beauté d’une foi ‑et encore, le film ne se penche pas vraiment sur ce que peut être la foi pour les laïcs ou les scientifiques par exemple- qui doit sauver le monde d’une mort morale certaine.
La menace physique ‑les scientifiques sans cœur donc- a du culot : non seulement elle a piqué une source d’énergie monstrueuse à des vrais scientifiques ‑ceux qui sauvent l’Église‑, mais en plus elle tue des cardinaux, et laisse quatre heures à Langdon et à la potiche brune italienne plantureuse et intelligente qui remplace la descendante du Christ ‑Audrey Tautou- pour sauver le Vatican de la destruction totale. Mais le manichéisme de Ron Howard n’est pas si simple. L’ennemi est partout, y compris au Vatican, qui a été infiltré comme la société française des années 1920 par ces ersatz de francs-maçons dégénérés. Il est aisé de constater ici le développement de tous les thèmes conservateurs (le complot, la solution du repli sur soi, le passé qui passe sans problème…), mais il est curieux de voir les différentes parcelles de ce conservatisme : de petites blagues sur les chauvinismes européens en adages presque scandaleux, le « gentil » finit par prononcer la sentence : « La science est trop jeune pour comprendre»… Est-ce censé nous plonger dans des abîmes de perplexité ? Est-ce censé nous montrer que le mysticisme doit régir le siècle, qui, pour Malraux, devait être spirituel ou ne pas être ? La Vérité, ici, est au bout du conclave. Toute tentative de modernisation est mauvaise, dans le monde -id est le Vatican- puisque ces représentants cherchent à le détruire à l’extérieur et à l’intérieur de cette île à sauver. Au sein même du Vatican, le seul progressiste se révélera bien mauvais.
Ron Howard nous entraîne dans sa grande entreprise sotériologique sans jamais sortir d’un canevas bien daté du XVIe siècle. Il nous explique même dans le dossier de presse sa fascination pour les histoires de ce type, qui permettent notamment de connaître des « personnalités intéressantes » comme Galilée et d’aller sur internet assouvir sa curiosité en sortant de la salle de cinéma. Le plus dangereux dans l’histoire n’est pas que le film flatte les sensibilités catholiques extrémistes, mais qu’il pourrait presque faire regretter que le cinéma hollywoodien s’exprime. Réaliser Anges et démons en 2009, c’est revenir sur des schémas de pensée surannés, c’est aussi penser le monde comme un éternel espace de conflit entre civilisations diverses, de guerre entre science et religion, entre pouvoir terrestre et pouvoir céleste, entre le monde catholique et les autres, dont le centre et le vainqueur n’est autre que l’Église. Souvenons-nous des mots de Goethe : « Lorsque les idées manquent, il y a toujours un mot pour sauver la situation. » On aimerait, pour changer, que le mot en question ne soit pas trouvé par Ron Howard ou Dan Brown, qui n’en proposent que de bien bas, sans talent ni conscience.