Réalisé en 1993, Bad Boy Bobby s’est depuis taillé une solide réputation de film culte et underground. Il sort aujourd’hui en DVD chez Cinémalta, accompagnée d’une interview de son réalisateur Rolf De Heer, qui revient en détail sur la genèse de ce film unique en son genre.
« Good boy », c’est ce que dit sa mère à Bubby alors qu’elle lui fait l’amour en le chevauchant, cette mère à la fois aimante et menaçante qui le tient prisonnier dans leur appartement-taudis, d’où elle ne sort jamais sans un masque à gaz. Quand son père, un prêtre, vient la retrouver, découvrant au passage qu’il a un fils, et que celui-ci est pour le moins bizarre, le « bad boy » du titre prend le dessus, et tue ses parents, les étouffant en enroulant leur visage dans du papier d’emballage, pratique déjà expérimentée plus tôt sur son chat qu’il a ainsi momifié.
Après avoir massacré ses parents et l’appartement, Bubby va découvrir le monde extérieur, tout en agressions sonore et physique, où il va reproduire tous les mots, gestes et sons qu’il perçoit (si c’est un chien qui lui aboie dessus, il aboiera de la même manière). Il croisera entre autres la route d’un groupe de rock, avec qui il donnera des concerts, où tout ce qu’il a pu entendre va ressortir dans un flot ininterrompu. Bubby va ainsi devenir une rock-star locale qui se fait surnommer « le prêtre », et il trouvera l’amour dans les bras de la forte Angel, avec qui il finira par trouver le bonheur et fonder un foyer.
Bad Boy Bubby est le film culte par excellence, qui donne à voir une suite de scènes bizarres, toutes plus folles les unes que les autres, qui font parfois rire, dégoûtent souvent, tentent de choquer à chaque fois (voir l’utilisation douteuse de cadavres de chats ou les scènes d’inceste). Un film qui divise, au fur et à mesure de ses projections dans les festivals, et qui depuis quinze ans s’est taillé une réputation d’œuvre dingue, indescriptible, qu’il faut donc voir pour croire.
L’interview de Rolf De Heer trouvable dans les suppléments permet au cinéaste australien d’évoquer le parcours si particulier qui a mené à la réalisation de ce film. À l’origine prévu pour être un film au budget minuscule tourné en un week-end, De Heer a finalement passé dix ans à en peaufiner le scénario, y incluant au fur et à mesure toutes les scènes étranges dont il pouvait être le témoin dans sa vie. La scène où une femme se fait voler son sac à main par un pickpocket en fauteuil roulant n’a par exemple pas été imaginée, mais vécue.
Une fois l’acteur principal déniché (Nicholas Hope, que De Heer avait découvert dans le court-métrage Confessor Caressor, sorte de C’est arrivé près de chez vous australien, où un tueur en série s’adresse directement à la caméra pour conter ses méfaits), le tournage peut commencer. Tournage peu orthodoxe s’il en est, puisque pas moins de trente-deux chefs-opérateurs se succèderont, chacun embauché le temps d’une séquence.
Rolf De Heer parle beaucoup des choix esthétiques opérés lors du tournage et confie avoir laissé une idée de côté : la première demi-heure du film (la partie huis-clos durant laquelle Bubby reste dans l’appartement de sa mère) devait être filmée au ratio 1.66, pour voir celui-ci s’élargir au format panoramique 2.35 (ratio définitif du film, respecté dans cette édition DVD) lorsqu’il franchit la porte et découvre le monde extérieur (cette idée a depuis été utilisée par Tarantino dans le second volume de Kill Bill, au moment où la mariée est ligotée dans un camion, avant d’être enterrée vivante par le personnage de Budd — Michael Madsen). Selon Rolf De Heer, ce procédé accentuait tellement le côté claustrophobique de la première partie du film, qu’il en rendait la vision tout simplement insupportable.
Une importance toute particulière a été accordée à la perception que le spectateur allait avoir du film. De ce fait, Bad Boy Bubby est un voyage sensitif qui agit directement sur l’inconscient. La musique y joue un rôle primordial. Le périple de Bubby est d’ailleurs guidé par celle-ci : il va croiser sur sa route, en vrac, une chorale de l’Armée du salut, le groupe de rock avec qui il va se produire sur scène, une violoniste, un organiste, ou encore des joueurs de cornemuse. Mais au-delà de la musique, c’est à l’environnement sonore que De Heer a attaché un soin tout particulier. Lors du tournage, il a ainsi effectué des prises de son binaural, équipant Nicholas Hope de capteurs dissimulés derrière ses oreilles. Ce que l’acteur entend devient donc ce que le spectateur entend. Ainsi, la perception qu’a Bubby du monde extérieur donne le ton au film, ce qui est encore plus amplifié si on le regarde avec un casque sur les oreilles.
Rolf De Heer revient enfin sur l’accueil qui fut réservé à Bad Boy Bubby. Fort de ses cinq prix reçus à Venise, le film a hélas vu sa distribution dans le monde se faire de façon plutôt hasardeuse, remportant un joli succès dans certains pays, mais passant complètement à côté du public américain, auprès de qui il s’est fait connaître à travers des copies pirates. Par ailleurs, les scènes discutables mettant en scène des chats maltraités ou morts ont carrément provoqué un boycott des produits australiens en Italie. C’est ce genre d’histoire qui fait de Bad Boy Bubby, aujourd’hui encore, un film dérangeant, qui divise, sur lequel il va enfin être temps de se faire une idée, grâce à sa sortie ce mois-ci dans la collection « Culte & Underground » de l’éditeur Cinémalta.