En quatre Mad Max, George Miller aura prouvé au moins une chose : pour figurer l’après-apocalypse, il suffit de poser sa caméra dans un désert australien. Son compatriote Rolf de Heer a retenu la leçon. Dépourvu de dialogues, comme si l’humanité avait perdu l’usage du langage depuis longtemps, The Survival of Kindness invente un futur dystopique de bric et de broc dans lequel des milices de fondamentalistes blancs assassinent et mettent en esclavage le reste de la population, alors que, parallèlement, une épidémie fait rage. Voici du moins ce que l’on peut grappiller du contexte à travers l’odyssée d’une femme noire (« BlackWoman » dans le générique de fin), abandonnée au début du récit dans une cage au milieu du désert. Le film ne sera jamais meilleur que cette première demi-heure, durant laquelle de Heer alterne entre time-lapses célestes invraisemblables et très gros plans sur des fourmis dont on entend les pattes cogner la roche, tandis que la femme paraît résignée.
Le temps passe mais elle finit par remarquer un défaut dans sa prison de fortune : une barre de fer légèrement courbée avec laquelle elle va fabriquer un tournevis. Une nuit plus tard, nous voilà devant un plan abstrait évoquant une espèce de paroi. Pas le temps d’en saisir l’échelle ; un doigt surgit pour frotter la terre qui s’est incrustée dessus. En vérité, nous sommes si près que l’empreinte digitale dessine une carte à même l’écran – c’est un morceau de chair qui lutte pour sa survie. Le film est rempli de ce type de visions aussi étonnantes que ludiques, toutefois de moins en moins surprenantes à mesure que le personnage, désormais libéré, arpente ce monde dévasté. Pour filmer l’odyssée de BlackWoman, le cinéaste recourt notamment au drone, à la manière de Skolimowski dans ses derniers films. Il s’empare de l’outil comme d’un jouet : sous son apparente sécheresse, le film s’avère un pur plaisir bis, entre survival et film d’horreur enfantin. La balance penche souvent, au fil de l’aventure, du côté du ridicule, le film se montrant fidèle au programme naïf (voire édifiant) de son titre, mais sans jamais se départir d’une constante inventivité. Reste que, comme on l’a déjà évoqué, The Survival of Kindness faiblit au fur et à mesure de sa progression, notamment à partir du moment où deux nouveaux opprimés se joignent à la lutte de BlackWoman, et se plante même totalement lors d’une séance de kung-fu en très longue focale pour le moins maladroite. Difficile toutefois de ne pas faire preuve de mansuétude envers ce film résolument candide : au regard d’autres titres atones découverts en compétition (notamment The Shadowless Tower de Zhang Lu, présenté le même jour), la tentative, même imparfaite, de Rolf de Heer constitue une agréable surprise.